Compte-rendu de la journée préparatoire de l’ASREEP-NLS vers le congrès de l’AMP 2018

La conférence de Anna Aromí, AME, AE et directrice (avec Xavier Esqué) du congrès de Barcelone, portait le titre : Poursuivre, dans la brèche, et comme sous-titre : dans la psychanalyse, la clinique actuelle, le désir de l’analyste.

Confrontée à de nouvelles formes de folie, elle nous expose comment les débats sur la psychose ordinaire nous ont amenés à remplacer la boussole que constituait le Nom-du-Père par le déclenchement. Se pose alors la question de ce qu’on entend par déclenchement, à savoir le localisateur d’une irruption du réel. Lorsqu’il y a déclenchement, ou déchaînement évident, la psychose est franche, déclarée. Mais quand il n’y a pas de déclenchement évident ? La question est d’ordre éthique : on ne peut pas scanner le sujet, ni diagnostiquer le réel. Seuls les effets de ces éléments primordiaux peuvent être lus. La clinique est donc cet effort de localisation précise de la manière dont chaque sujet se débrouille avec le réel, avec la jouissance. Suivant l’indication de Jacques-Alain Miller qui voit dans la courbe de Gauss (1) la vérité des choses humaines, les parlêtres étant tous égaux cliniquement, Anna Aromí situe le champ ordinaire dans la courbe, un champ qui croît de plus en plus, aussi bien que s’accroît la psychose extraordinaire. Puisque nous sommes tous des sujets ordinaires, c’est donc la psychose qu’il s’agit de démontrer cliniquement, mais aussi la névrose, qui ne peut pas être un semblant compensatoire. Ni la psychose ordinaire, ni la névrose ne doivent devenir des fourre-tout où fourrer tous les cas incertains.

Ainsi Salvador Dali est pris par Anna Aromí comme paradigme. Alors qu’il avait bien un père, notaire, notoirement connu, Salvador n’a pas pu compter sur un père sur lequel s’appuyer pour répondre à son existence sur un mode sexué. Dali écrivait des livres (quand il ne peignait pas) témoignant de son invention paranoïaque. C’est Lacan qui a aidé Dali à organiser le système qui lui a permis de ne jamais déclencher. Selon le psychiatre Roumeguère, qui fut son analyste durant plusieurs années, Dali s’est donné la tâche d’être le salvateur de la peinture.

Pour démontrer la psychose, ou la névrose, Jacques-Alain Miller rappelle trois critères : la preuve de la relation du sujet à la castration, une différence entre le Moi et le Ça, et l’existence d’un Surmoi bien différencié. Chez Dali, qui réécrivit sa vie en effaçant toutes les pertes, rien n’était impossible. Ni la mort de sa mère, ni la naissance de sa sœur ne l’ont atteint : son Autre était toujours complet. Dali n’est pas séparé de son objet, ce que démontrent ses écrits, à la métonymie infernale, comme une écriture automatique, premier étage du surréalisme. Enfin, l’absence de surmoi est marquante : pas de culpabilité, mais l’ironie.

Pour démontrer la psychose, on a besoin de critères forts. Le déclenchement démontre la structure de la psychose dans un sujet. La logique du dernier enseignement de Lacan est celle de la clinique ironique. Parler n’est pas une escroquerie, mais comment lire avec ce dernier enseignement de Lacan, qui amène à « tout le monde délire » à distinguer la névrose de la psychose, puisqu’il y a discontinuité ? Le terrain est délicat.

Dans la psychose ordinaire, on peut capter l’effort singulier d’un sujet pour fabriquer ou soutenir la fonction de nouage, d’un symptôme pour se défendre du réel. Il le fait tout seul car il ne peut compter sur le Père. La psychose ordinaire est donc une localisation du symptôme comme traitement du réel. Alors que dans la névrose, le réel ne se dévoile et, dans les meilleurs des cas, ne se démontre que par l’analyse, qui dénoue les éléments par lesquels le réel se circonscrit, se rattache, la fin d’analyse a quelque chose de ce dénouement, de ce déclenchement. On peut avec Anna Aromí faire l’hypothèse que la psychose n’est pas que le révélateur du symptôme comme agrafe des nœuds, mais qu’elle résulte du désir de l’analyste. C’est pourquoi nous devons faire sortir le déclenchement de la psychiatrie où Freud et Lacan l’avait trouvée. La valeur du déclenchement est son opérativité clinique face au réel. Le congrès nous met donc à l’épreuve d’un Che vuoi ? analytique, parce qu’il fait surgir les impasses de l’analyste dans la clinique qu’il pratique. Anna Aromí nous invite à venir parler de nos cas de psychose à Barcelone.

Parmi les questions et remarques, notons la stupeur qui frappa Nelson Feldman quand il se trouva témoin, à 17 ans, de la fascination de Dali pour l’anus de Gala… Genève, poursuit le président de l’ASREEP-NLS, est lié à la revue du Minotaure, car elle y était éditée par Slatkine ed., et dans le même numéro de cette revue, on trouve du reste l’article de Dali et celui de Lacan. Et Olivier Clerc de rappeler l’échange célèbre entre Lacan et Dali, qui se déclaraient tous deux auteurs de la paranoïa.

Anna Aromí rappelle la phrase de Freud, qui, lorsqu’il rencontra Dali, déclara qu’il comprenait, à la seule vue de son regard, pourquoi il y avait tant de guerres civiles en Espagne.

La question de la psychose se pose à certains AE au moment de la passe. Mais ce qui fait que le psychanalyste ne se confond pas (trop) avec le psychotique, c’est justement que le psychanalyste se soumet à dire. C’est une acceptation de la castration. Anna Aromí poursuit en rappelant le rôle de la psychanalyse dans la création de certains troubles actuels, précisément pour les enfants, et rappelle aux psychanalystes la nécessité de prendre un peu de distance, rappelant que si les enfants pouvaient demander quelque chose, c’est de pouvoir faire leur névrose infantile tranquillement…

Olivier Clerc posa alors sur-le-champ une question sur l’opposition entre névrose et psychose : appartient-elle au registre de l’exclusion (contrariété : c’est psychose, ou non-psychose), ou au registre de la contradiction (névrose et psychose). Si Jacques-Alain Miller somme les analystes de faire une démonstration, c’est que dans la logique borroméenne, la névrose contredit à la psychose. Il interroge aussi la troisième structure, la perversion, posant la question de son lien avec la castration. Dans le champ lacanien, la continuité serait la jouissance, alors que la discontinuité serait la réponse du sujet au réel. Comment clarifier réel, jouissance et pulsion pour un non-lacanien ? Y a-t-il un réel qui ne serait pas jouissance ? Y a-t-il une jouissance qui serait une défense contre le réel ?

Cette question, pour Anna Aromí, ouvre un champ de travail. Elle rappelle que lors du congrès de Paris sur le réel, personne n’avait fait équivaloir réel et jouissance, alors qu’à Barcelone, cette équivalence avait cours, mais telle un raccourci un peu fautif. Pour Aromí, il n’y a pas d’équivalence totale entre réel et jouissance, parce que la jouissance féminine ne peut se laisser saisir par les signifiants. Cette partie-là serait-elle le réel ? Le réel qui fait peur, celui de la tuile qui tombe, n’est pas le réel de la psychanalyse, qui, lui angoisse.

François Ansermet traitait la question des nouveaux aménagements de la différence des sexes. Il déclina les divers modes actuels par lesquels un sujet s’attribue une origine, un corps nouveau, une sexualité, une certitude. Les nouvelles inventions techniques en jeu sont un défi pour la psychanalyse. Toutes sortes de nouveaux semblants apparaissent, plus vrais que les précédents, et le plus intime entre en connexion étroite avec le plus collectif. Cette clinique du passage à l’acte sur le corps, soutenue par des groupes, constitue une nouvelle disjonction entre la nature et la culture. On cherche dans la précipitation à effacer l’imposture biologique, et on traque les caractères sexuels secondaires en refusant les procédures en kit proposées par les médecins. C’est Almodovar, mais à Genève. En rupture avec Lacan, qui dans le Séminaire XIX, nous disait que la psychanalyse ne pouvait définir un homme, une femme, les trans ont l’air de (trop) bien le savoir. Comment faire une clinique différentielle de la certitude ? Impossible de parler de psychose, sans transfert. Dans le discours commun, on ne rencontre plus des sujets, mais des associations qui portent le discours commun. Il s’agit donc de pratiquer avec prudence une clinique de la singularité qui ne soit pas insupportable pour qui trouve à se loger dans une jouissance collective, qui ne marche pas. La psychose, dans le discours commun, est un signifiant encore déficitaire. Silvia Geller rappelle son article sur Transsexualisme high tech ? Comment redonner aux mots une valeur, alors qu’ils ne semblent que blabla, quand ce qui est désiré, c’est l’ablation ? Face à des associations terriblement normatives, la psychanalyse peut permettre, grâce au transfert, de redonner une place vide sur la scène au sujet pour que sur cette autre courbe de Gauss, chacun trouve sa place entre les signifiants Homme et Femme. F. Ansermet rappelle que pour ces sujets pas sans mélancolie, et qui sont dans la certitude, la tentation suicidaire peut être un autre nom de la division subjective.

Ludovic Bornand, qui avait jusqu’ici seulement lu et entendu parler Jean-Marc Josson, se réjouissait de pouvoir enfin l’entendre en corps sur la question de l’accompagnement du sujet dans sa pragmatique. Le sujet présenté par le psychanalyste bruxellois, membre du Conseil de l’ASREEP-NLS, nous fut présenté d’emblée comme une psychose ordinaire. La position d’accompagnant était donc celle à laquelle le psychanalyste accepta d’être assigné dans le transfert. Ce sujet féminin, âgée de 30 ans, ne sait pas bien où est sa place. Pour elle, tout rapport aux autres a un côté malsain, insincère. Reprenant un schéma précieux d’Alfredo Zenoni, il démontra que dans le cas de ce sujet, il n’y avait pas eu extraction de l’objet. Enfant, elle était la même que sa mère, habillée exactement comme elle, une poupée Barbie. Pour démontrer la psychose, Jean-Marc Josson rappelle l’indication que Lacan donne en note, dans la Question préliminaire : « Le champ de la réalité ne se soutient que de l’exaction de l’objet a qui lui donne son cadre. » Il rappelle ce schéma éclairant d’Alfredo Zenoni dans lequel la réalité, l’Autre, le semblant, pour le sujet psychotique, s’écrit (…), puisqu’il a l’objet de son côté, du côté du réel. Le sujet psychotique est dans le réel l’objet de l’Autre, dont il n’est pas séparé. Les détails que le psychanalyste peut préciser sont bien des preuves servant à la démonstration de la structure. Lorsqu’elle devient mère à son tour, elle fait courir à son enfant, comme Lacan l’avait écrit dans sa Note sur l’enfant, « le risque de donner à sa mère l’objet même de son existence ». L’analyse est donc pour elle la seule chose stable dans sa vie. Elle qui n’avait jamais pensé que son enfant et elle étaient deux choses différentes, peut accepter de s’en séparer un peu, et mettre l’analyste en place d’Idéal du Moi, se sentant aimable sous ce regard.

La culpabilité chez ce sujet psychotique prend la couleur de l’ironie. Ainsi, ayant quitté sa mère qui lui disait qu’elle allait mourir si sa fille partait, peut-elle dire ironiquement : « Ma mère n’est pas morte… »

En réponse à une question de Sandra Cisternas, faisant remarquer qu’avec l’analyste, le sujet met de l’ordre dans le monde, il rappelle que cet ordre ne se construit pas… Plusieurs questions sont posées, sur ce qui a poussé ce sujet à faire une demande d’analyse, sur l’apparition de l’enfant comme objet en corps, dès le début du travail, sur la possibilité d’une séparation dans un contexte d’inséparation, ce qui permit de rappeler ce que disait Jacques-Alain Miller (2), que le cas Schreber nous donne la matrice du rapport du sujet à l’Autre dans la psychose, sur deux versants paradoxaux, l’envahissement et le laisser-tomber. L’envahissement produit le bien-être, alors que le laisser-tomber produit la catastrophe. Garder cette boussole en tête permet d’être attentif à ce qu’une séparation ne soit vécue sur le mode de l’abandon.

À Nelson Feldman qui interroge la difficulté de ce transfert, légèrement érotomaniaque, qu’il fat supporter pour éviter qu’il ne se transforme en dépit, rancune (un peu de persécution, un peu d’ironie, un peu d’érotomanie…), Jean-Luc Josson explique son usage très discret de signes du corps : serrer la main un peu plus longtemps quand elle part après avoir dit que ça allait mal, ce qui lui permet, quand elle arrive et qu’elle veut dire que ça va mal, de serrer la main un peu plus fort…

À Dominique Tercier qui fait remarquer que la culpabilité pour un sujet psychotique est souvient liée à la difficulté de ne pas vouloir se laisser prendre totalement par l’autre, il répond que la culpabilité porte sur la question de la jouissance de l’Autre plus que sur le désir. L’accompagnement, la présence du psychanalyste ne répond pas à la même logique suivant que l’objet est ou non extrait, quand il est dans le champ de la réalité ou dans celui du réel.

Cette journée de travail se termine par une mise en jeu de questions singulières de cartellisants. Une douzaine de participants proposent un thème de travail qui trouve à se nouer à ceux des autres. Nous espérons donc que ces cartels en construction pourront s’inscrire sur la liste des cartels de la NLS, et parions que dans une année, ils pourront offrir leurs productions lors d’une journée de l’ASREEP-NLS qui se construira avec eux. Et l’apéritif traditionnel clôt une belle et riche journée qui engage la Suisse dans le champ de l’AMP.

 

  1. Psychose ordinaire et clinique floue, Jacques-Alain Miller
  2. Miller (J.A.), « Supplément topologique à la question préliminaire », Actes de l’EFP, « Les psychoses », 1979.

 

Radio Lacan: Vers le Congrès de l’AMP. Conférence de Anna Aromi à l’ASREEP-NLS Génève : « Poursuivre dans la brèche » (Dans la psychanalyse, la clinique actuelle, le désir de l’analyste…).

Conférence Anna Aromí | Journée de travail à l’ASREEP-NLS vers le Congrès AMP 2018