Psychanalyse, migration … et amour ?

De notre cartel fribourgeois, avec comme Plus-Un Frank Rollier, j’ai appris comment le cartel accroche à l’école de psychanalyse que représente pour moi l’ASSREEP- NLS, par la solitude subjective à laquelle il m’a convoquée. Partis chacun d’un point singulier, nous avons mis neuf mois à inscrire notre travail sous un thème actuel, la psychanalyse et la migration. J’y avais ajouté ce troisième signifiant : l’amour.

Contrairement à la communauté, basée sur la nécessaire exclusion d’un ennemi commun, comme je l’avais lu chez Heller-Roazen1, chacun des cartellisants est un pirate2, un qui fait l’expérience de la solitude, un hérétique3, comme Jacques Lacan et Jacques-Alain Miller, c’est-à-dire un qui n’hésite pas à choisir son propre air, sa chanson, son thème de travail, que j’écris donc : « t’aimes ».

Au bout d’un an de rencontres par Skype, chacun de nous a exposé, dans son style, le point où il était arrivé, devant un public qui n’avait pas forcément entendu parler de psychanalyse. Chacun a décliné la cause de son rapport politique à l’autre, son semblable, partant de son point d’exil, de ce qui, en chacun de nous, nous agite, ce qui nous est ex-time, le plus étranger et le plus singulier. À Fribourg, nous avons appris que la Suisse a quelque chose en commun avec le cartel : cette drôle de confédération de 4 langues différentes, officielles, et qui en accueille une foule d’autres venues y vivre, s’enrichit non seulement des valeurs bancaires qu’on y dépose, mais surtout des dépôts langagiers, qui forment l’humus sur lequel poussent nos fraises4. C’est sur cet humus que se transmet la psychanalyse. Le psychanalyste, comme le Suisse, on ne sait pas ce que c’est, mais la Suisse existe.

… et l’amour ? Si Lacan voyait dans l’amour le signe d’un changement de discours, il faut le chercher dans les cartels. Non pas un amour qui enferme dans l’entre-soi, mais un nouvel amour, qui ouvre et dépasse les frontières que crée le narcissisme des petites différences. En ce sens, notre cartel a cristallisé quelque chose de ce qui nous sépare et nous unit : en quoi nous autres, Suisses aborigènes, nous autorisons-nous à parler de migration ? Nous avons quelque chose à en dire, parce que nous ne sommes pas spécialistes de la question, et pour que cela s’entende à l’intérieur de notre association, j’ai demandé à prendre ce temps pour en dire quelque chose lors de cette journée suisse des cartels. Un cartel ne serait-il pas un symptôme, un petit caillou, un empêchement de tourner en rond, un obstacle au discours du maître, quelque chose qui pousse à dire ?

 

  1. L’Ennemi de tous. Le Pirate contre les nations, Seuil, collection « La librairie du XXIe siècle », Paris 2010.
  2. Le mot pirate, emprunté au grec peiratès, est dérivé de peirasthai, « tenter de faire quelque chose », ou plus exactement « accomplir ».
  3. Voir Lacan, hérétique, Éric Laurent, La Cause freudienne n° 79, Paris 2011, pp. 197-204.
  4. V. le texte sur les stolons de Sergio Caretto, « Dal rigetto, una politica. Note sulla politica di Freud nel movimento psicoanalitico » in Politica lacaniana, a cura di Paola Bolgiani e Rosa Elena Manzetti, Rosenberg et Sellier édit., Torino 2018, (non traduit en français), commenté par Francesca Biagi-Chai dans Lacan Quotidien n° 736.