משבר (La crise)

Alors que je m’apprêtais à écrire avec plaisir quelques mots sur ce blog, je lisais, parmi les trois premiers textes publiés, l’annonce de mon contrôleur, atteint dans sa chair par ce virus inattendu.

Après un temps de stupéfaction tant la réalité de cette chose faisait effraction à sa manière dans ma vie, je décidais de me lancer dans cet écrit. Je n’oubliais cependant pas que mon parcours de « jeune » psychanalyste avait été ponctué par la mort de mon père pendant mon Bachelor en Psychologie et l’était, à présent, par une pandémie en pleine phase d’écriture de mon mémoire de Master en Droits de l’Enfant.

J’avais bien senti venir ce virus en janvier, quand ces visages sans masque hurlaient leur détresse, leur horreur depuis la Chine sur le net mais la surprise fut, quand il se retrouva juste là, derrière les montagnes du Valais… en Italie. Mon sentiment d’impuissance me clouait dans mon lit, la nuit, quand j’écoutais les cris de désespoir de ces infirmières italiennes assiégées par ce virus que j’avais surnommé à « tête chercheuse » depuis janvier. Mon passé d’infirmière ressurgissait avec, en titre, la mémoire de H1N1, mais qui n’avait eu, somme toute, aucunement l’ampleur de ce coronavirus.

J’avais alors pensé dans un premier temps à cette notion du micro réveil que nous avions abordée… Vous savez, celui qui ne dure que le temps d’un éclair quand nous sommes réveillés… et à « l’usage éthique de l’ombilic du rêve dans la cure »1. C’était lors de notre dernière rencontre, un samedi 8 février 2020, dans un air qui s’annonçait presque printanier, pendant que surgissait dans nos vies, sans que nous le sachions, un virus, un intrus … … et ce, avant même qu’on l’ait nommé le Covid19. De mes pensées sur le rêve, ce virtuel, nous passions à un réel devenu surréaliste pour l’humanité, comme un cauchemar éveillé, qui se nommait « pandémie ».

En effet, dans le silence d’un des premiers matins, au réveil, un mot surgit de mes premières pensées, Coronavirus, quel cauchemar ! Le millième de seconde d’après me rappelait la véracité de cette réalité et le souvenir d’un rêve m’apparaissait aussitôt : Un clair-obscur, aux lueurs orangées. J’étais seule debout, devant un demi-cercle de personnes qui se tenaient à une dizaine de mètres devant moi, mais dont je ne percevais que le haut des corps, tout comme du mien. Mais rien ne s’y était dit. Aucun mot. Juste le souvenir d’un ressenti, l’heure était grave.

Les Italiens chantaient aux balcons, pays de l’opéra où rien ne peut empêcher une pandémie musicale et faire taire la voix lyrique, des politiciens et des économistes s’épanchaient sur les ondes, la santé agonisait, le religieux s’excluait, le politique décidait, et ma liberté s’enfuyait. Était alors venue l’heure des comptes… le monde comptait … comptait ses masques … et comptait ses morts. Impossible de ne pas penser spontanément à Freud… au trauma2 … aux stress post-traumatiques qui allaient s’ensuivre… Mais, très vite, un certain état de sidération prit le dessus quand l’heure du « confinement » fut venue, bouleversant nos vies et exigeant la « distanciation sociale » comme remède. Le lien social devait se transformer : de l’école par le net aux courses livrées, de l’isolement à l’écoute, du silence du monde, au chant des oiseaux du printemps, le rendant plus saillant. Aussi, je relisais des passages d’Hannah Arendt, de Foucault… Ma colère était telle que je me surprenais même à lire le dernier article de Michel Onfray3 !! Comme lui, je n’avais pas envie d’aller sur mon balcon pour « bêler avec les moutons ». Ces soignants qui avaient pourtant fait partie de ma vie durant 25 ans allaient par devoir, par compassion, s’exposer au sacrifice humain nécessaire à la constitution de l’immunité de groupe ou dite de troupeau.

J’écoutais Delphine Horvilleur4, qui avait d’ailleurs été citée inopinément par le présentateur de notre conférence en préparation au congrès de Buenos Aires sur le rêve, et qui nous souhaitait Shabbat Shalom. Avec sa communauté qui s’apprête à préparer Pessah et pour ce premier shabbat avant l’heure, elle rappelait les origines du mot « maladie », quand quelque chose ne tourne pas rond, qui se dit « ma’hala », la circulade, et « santé ». D’un côté, ce qui est circulaire comme lorsqu’on se donne la main pour faire une ronde, comme un tourner en rond, un système, qui fait des boucles, sans échappatoire. De l’autre, la « santé » ou l’interjection « santé ! » qui se dit « briyout », dont les 3 lettres de la racine (Beth, Resh, Aleph) veulent aussi dire « créer » ou « être créateur » et qui, dans un élan, donne cette capacité à faire du neuf, à se lâcher la main, à être créatif dans ce temps de confinement, afin d’y échapper, et de ne pas tourner en rond.

Ainsi, le mot « crise » qui se dit « machber » en hébreu, représente la table d’accouchement ou le tabouret utilisé par les femmes qui s’installent pour accoucher. Elle expliquait que la crise est donc la salle de travail ou la salle de naissance, un lieu de confinement où des émotions paradoxales se mêlent et où se joue un monde nouveau, où rien ne sera plus comme avant. Une épreuve certes, mais un moment où on naît, renaît, dans l’humilité, dans notre petitesse, où il peut y avoir des femmes sages et le devenir de toute une humanité dans la salle.

Pour conclure et en continuité de ce qui était prévu, avant le Covid 19, je nous souhaite un (des) heureux rendez-vous, après ce passage difficile pour certains, au sortir de ce confinement. Dès lors, j’ai envie de penser au prochain congrès de l’AMP sur le rêve, dès le 14 décembre prochain, sous un bel été à Buenos Aires, « keilou »5, comme si nous étions déjà invités au voyage, transformés certes, mais en mouvement, et avant tout atteints par le virus de la psychanalyse.

 

* Image: Chagall, M. Le rêve (1927). Chefs d’œuvre du Musée d’Arts de Paris.

Notes :

  1. René Raggenbass (2020). « De l’usage éthique de l’ombilic du rêve dans la cure et après ». ASREEP-NLS web.
  2. Bokanowiski, T. (2015) « Le concept de traumatisme en psychanalyse », Sillages critiques.
  3. Onfray, M. (2020). « OPINION ». Planète360.
  4. Horvilleur, D. (2020). « Atelier Tenoua ». Tenou’alive.
  5. Id.