Retour sur Nouages 2018 à Genève

« A la différence du symptôme, l’acting out, lui, c’est l’amorce du transfert. C’est le transfert sauvage. Il n’y a pas besoin d’analyse, vous vous en doutez, pour qu’il y ait transfert. Mais le transfert sans analyse c’est l’acting out. L’acting out sans analyse, c’est le transfert. Il en résulte qu’une des questions qui se pose concernant l’organisation du transfert, j’entends par là sa Handlung, son maniement, c’est de savoir comment le transfert sauvage, on peut le domestiquer, comment on fait entrer l’éléphant sauvage dans l’enclos, comment on met le cheval au rond, pour le faire tourner dans le manège »

(Lacan, séminaire X, p.148).

Dans le cadre des travaux préparatoires au congrès NLS 2018 sous le titre « Le transfert dans tous ses états : sauvage, politique, psychanalytique », un séminaire Nouages, organisé par l’Asreep-NLS, s’est déroulé le 24 mars dernier avec Réginald Blanchet et Thomas Van Rumst à Genève.

Réginald Blanchet

La matinée s’est ouverte par l’intervention de Réginald Blanchet qui a convié l’assistance au cœur de la question du transfert sauvage. Combinant les qualificatifs du titre du Congrès, il s’est intéressé à cette notion et l’a interrogée, au-delà d’une compréhension intuitive, en lui donnant un statut de catégorie conceptuelle en psychanalyse et en politique ; en se référant au transfert dans son acception spécifique à la psychanalyse et celle généralisée à tout lien social.

Le premier temps de son intervention a permis de déplier la notion de transfert sauvage dans le champ psychanalytique. Il a puisé chez Freud et Lacan les éléments ouvrant à cette réflexion, à travers notamment le cas de la jeune homosexuelle de Freud et celui de l’homme aux cervelles fraîches, patient de Kris. Ces cas, commentés par Lacan entre autres dans le séminaire X, sont enseignants pour repérer la dimension pulsionnelle engagée dans le transfert et son rapport à l’acting out, qui survient dès lors que l’interprétation de l’analyste forclos la jouissance pulsionnelle. C’est à ce propos que Lacan parle explicitement de transfert sauvage, même si ce concept peut être inféré du texte de Freud sur la psychanalyse sauvage (1910). Le transfert sauvage correspond ainsi à une forme spontanée, non élaborée de transfert, qui se relie à une situation que l’analyste ne parvient pas à domestiquer pour engager le travail analytique. Reginald Blanchet a démontré, par quelques exemples, comment vient se loger, dans cette faille, une jouissance de transfert dans ses singulières déclinaisons libidinales. A partir de l’énoncé de Lacan « le transfert sans analyse, c’est l’acting out. L’acting out sans analyse c’est le transfert », il rappelle que l’acting out est un appel à l’Autre, mais aussi une monstration en attente d’interprétation. Ainsi du transfert sans analyse est du transfert qui se jouit lui-même. A ce sujet, Réginald Blanchet a éclairé le concept de transfert sauvage de l’analysant à l’aune des deux mouvements de transfert : d’aliénation et de séparation, impliquant respectivement une jouissance épistémique et une jouissance pulsionnelle. Sur l’autre versant, il a interrogé la participation de l’analyste au transfert sauvage. Dans la perspective de Lacan, le transfert est en effet à prendre dans son actualité, au-delà de la simple répétition, et met en jeu le désir de l’analyste dans la conduite de la cure. Il s’agit d’un désir analysé, épuré quant à sa position de jouissance. Un désir qui opère en appui sur l’exercice renouvelé du contrôle de la pratique.

Séminaire Nouages

Sur l’axe du transfert sauvage social généralisé, Réginald Blanchet a fait une lecture de la fonction politique du président américain, basée sur l’axiome lacanien des quatre discours. Du transfert sauvage s’incarne dans la façon dont D. Trump occupe sa position de dirigeant, mettant aux commandes sa propre jouissance. Réginald Blanchet déplie l’idée qu’Il exerce d’une position, émancipée du S1, émancipée de l’éthique même du discours, visant le savoir en son trou, comme savoir destitué. Le transfert, étant un rapport de désir à désir, la jouissance du ressentiment appelée par ce chef de file vient supposément en réponse à la frustration d’un certain électorat sous le gouvernement précédent. Ce qui est pointé là est que ce mode de jouir fait en l’occurrence politique. Une politique de notre époque, qui incarne la montée au zénith de l’objet a.

Cette lecture proposée par Réginald Blanchet a suscité de nombreuses questions parmi les participants.

Quant aux présentations cliniques, elles ont mis en évidence, chacune avec finesse, le transfert dans les cures, mais aussi à l’institution. Elles ont donné lieu à de vifs échanges.

Thomas Van Rumst

Commenté par Lynn Gaillard, Thomas Van Rumst a parlé d’un cas de transfert psychotique où les interventions de l’analyste ont consisté, plus qu’à interpréter, à appuyer les constats de la patiente. Un maniement avisé du transfert permet, au décours de la cure, de parer à l’injonction persécutante de l’Autre, de mettre un voile sur l’objet regard et d’en restaurer un peu de brillance. Il montre aussi comment une maladresse de l’analyste produit un acting out, qui ricoche sur un effet surprenant de rectification subjective où la patiente réalise la dimension de semblant du signifiant ; permettant alors une circulation autre que ces signifiants-objets déposés au début chez l’analyste. Ce rapport nouveau à la langue produit un dégagement avec des effets de rencontre dans la vie de la patiente.

Anne Edan

Interrogeant la dimension du transfert dans/à l’institution, Anne Edan – commentée par Dominique Tercier – a présenté un cas d’adolescente aux prises avec la tentation suicidaire et des cauchemars sexuels depuis l’enfance dont le statut de délire a fait débat, laissant ouverte la question de structure. Cette jeune fille, en pluralisant les adresses – psychiatre, psychologue, infirmier – a réussi à se dégager un peu du sentiment de persécution et de la menace d’anéantissement de son être par une solution du côté de l’imaginaire qui lui permet de retrouver une accroche fragile à sa vie, de reprendre l’école et de découvrir goût à l’écriture.

Aikaterini Nteli a parlé d’un cas de sujet psychotique qui, dans une modalité discontinue, fait appel à l’analyste pour traiter l’impossible de la séparation et son réel de la maternité. Sous transfert, la patiente dans sa pente à être « toute mère » et à se soutenir d’un délire d’amour inconditionnel parvient à remettre en jeu quelque chose de son être de femme, venant décompléter cette fusion avec l’enfant pris comme objet de jouissance. René Raggenbass, discutant du cas, souligne la délicatesse du maniement du transfert qui – par interposition, nomination, ponctuation- permet à cette patiente de construire des solutions temporaires pour parer à l’angoisse et la persécution.

Ludovic Bornand et Sandra Cisternas

Pour finir, Sandra Pax-Cisternas – commentée par Ludovic Bornand – a témoigné comment un sujet sous contrainte, suite à un passage à l’acte, a pu faire usage du travail sous transfert pour traiter quelque chose de sa jouissance, Par souci de confidentialité, l’analyste souhaite qu’il ne soit rien transmis par écrit sur ce cas.

 

 

Programme Séminaire Nouages à Genève ASREEP-NLS vers: « Le transfert dans tous ses états », Samedi 24 mars 2018.