Un journal de bord

Je veux partager ce que ma pensée tente d’attraper des phénomènes qui ont lieu dans un corps affecté depuis 4 jours, non pas par un signifiant qui est généralement considéré par la psychanalyse comme le signe du trauma/trace de la jouissance sur le corps, mais par un micro-organisme appelé coronavirus. Voilà ce que mon ami professeur d’infectiologie m’a écrit par SMS. « Salut, résultat positif à l’instant. Reste chez toi pour 10 jours au moins et tes proches aussi. Evite les contacts rapprochés avec eux. Appelle-moi si cela ne va pas. Mais pas d’inquiétudes particulières dans ta situation personnelle selon moi ».

Voilà. C’est un moment de bascule hors sens (même si le virus a un nom) dans lequel c’est le corps qui est pris à parti et la pensée (comme l’intendance pour Napoléon) n’a qu’à suivre. Il me faut tout réorganiser, mes consultations, mes échanges, etc.

Tout d’abord, c’est l’expérience d’un corps qui traverse, de manière évidement inattendue/contingente, une série de phénomènes sur lesquels ni ma pensée ni ma volonté n’ont aucune prise. S’il fallait une preuve pour démontrer que la pensée et le corps sont bien deux consistances hétérogènes, disjointes, dysharmoniques, la voilà. La première nuit de l’infection a d’ailleurs été l’occasion de la production d’un rêve : j’étais pris dans le scénario exposé par Lacan dans le temps logique et l’assertion de certitude anticipée. Quel que soient les scénarii et les mises en scènes du rêve, j’arrivais sans cesse à la certitude anticipée d’un acte d’extraction !

Du corps en question. Du réel en question. Avec de la température, de l’anosmie, une absence de goût, d’intenses douleurs musculo-squelettiques, heureusement pas de toux ni de difficultés respiratoires, mais la sensation d’un corps aplati, écrasé par une force invisible sans que le psychique ait un quelconque effet sur cet état. C’est bien un état dans lequel le corps est aux commandes !

Cela me laisse avec les mots de Lacan terriblement forts mais soulageants dans leur contenu, lors de sa conférence de Louvain en 1972. Notamment lorsqu’il évoque la question de la mort. Il rappelle que c’est une croyance qui nous soutient. « Ça vous soutient, si vous n’y croyiez pas, est-ce que vous pourriez supporter la vie que vous avez ? Si on n’était pas solidement appuyé sur cette certitude que ça finira. Est-ce que vous pourriez supporter cette histoire ? ».

Evidemment, il ne s’agit pas, pour moi, de mourir maintenant.