Atelier de criminologie lacanienne · Aigle 2023-2024

Atelier de criminologie lacanienne 2023-2024

L’intention et ses déclinaisons

 

Il n’y a pas de vérité qui à passer par l’attention (la pensée), ne mente !
(Cf. J. Lacan, Préface à l’édition anglaise du séminaire XI)

 

 

ARGUMENT

L’année de travail à venir de l’atelier nous mettra d’emblée aux prises avec la question incontournable de l’intention. Dans le champ de la criminologie qui nous occupe cette notion a une importance toute particulière pour chacun et chacune. Mais cette notion est-elle d’un usage aussi évident et aussi aisé dans ce champ : quelle est, ou quelle a été, l’intention de telle personne dans tel délit ?

Par ailleurs, l’examen attentif de cette notion nous mettra très tôt face à une autre idée phare de l’analyse du mental : la cause. Mais l’intention, comme notion, a-t-elle vraiment le même champ d’application que la notion de cause, ou au moins quelque chose de d’approchant ? Pour le dire autrement : l’objet de l’intention n’est-il pas, comme but, le moteur de l’infraction, la cause du délit, du crime, du passage à l’acte, même inconsciente. Et la cause n’est-elle pas dans ce cas un autre nom de l’intention ? Plus simplement, intention et cause se recouvrent-elles, ou bien l’une englobe-t-elle l’autre ? Une arme peut être la cause de la mort de quelqu’un mais pas l’intention. Les champs des deux notions ont-ils seulement une intersection, et laquelle ?

Quoi qu’il en soit, nous aurons donc à distinguer ces deux concepts majeurs de la philosophie, en définissant chacun de la manière la plus précise que possible ainsi que leurs usages dans le champ qui nous occupe. Un premier point les différencie déjà. L’intention est en règle générale mise en lien avec une disposition de l’esprit, avec un état mental, alors que la cause désigne plus spécifiquement la relation objective que nous supposons entre un effet et ce qui l’a causé.

Dans son texte « Rien n’est plus humain que le crime »1, Jacques-Alain Miller questionne la notion de causalité objective. Il soutient « que l’on ne peut jamais reconstituer totalement la causalité objective d’un acte subjectif. Qu’il y a quelque chose d’insondable dans la décision subjective (cf. l’intention ?) du délinquant et du criminel ».

L’année passée, nous avons pointé que ce qui cause, c’est le Réel, et donc un élément hors sens, hors langage, hors parole, ce qui a pour conséquence que pour la psychanalyse, l’intention est une intention inconsciente. Le plus souvent ce n’est pas à la partie consciente d’une intention qu’il faut s’intéresser, mais à ses racines inconscientes. Nous pourrions dire que la cause et l’intention résident dans un point de fixation – une jouissance – étrangère au sujet lui-même et qui pousse à faire émerger une réponse dans le monde du sujet. A côté de cette intention et de cette causalité ignorée de la conscience du sujet, il y a évidemment tout ce que nous choisissons, décidons, jugeons, soignons, prédisons, etc. Ce sont ces déclinaisons du mental que nous allons examiner cette année pour en saisir les effets, tant dans leurs réussites que dans leurs impasses, en nous souvenant que dans « la psychanalyse, le sujet ne se conçoit pas autrement que comme puissance menteuse »2. L’intention est-elle cette puissance ?

René Raggenbass

 

  1. Jacques-Alain Miller, Mental n°21, 2008, p. 21.
  2. Jacques-Alain Miller, Des réponses du Réel, Séminaire de l’Orientation lacanienne, cours du 23 novembre 1983.