Binaires non binaires

« (…)le réel à proprement parler s’incarne de quoi ? De la jouissance sexuelle, comme quoi ? comme impossible (…) »1

Dans le Séminaire XVIII « D’un discours qui ne serait pas du semblant », Lacan souligne l’abîme existant entre ce que nous appelons sexualité et les relations révélées par l’inconscient découvert par Freud. Le sexuel n’a rien à voir avec la biologie, mais plutôt avec les relations entre l’homme et la femme, relations dont l’étoffe est faite de semblant. Il s’agit pour Lacan de relations qui semblent suivre un « destin » qui se produit, pour les êtres humains, à l’âge adulte, à savoir celui de se répartir entre hommes et femmes. Un destin qui, dans sa réalisation, même s’il est véhiculé dans un discours, reste toujours opaque, dépassant la dimension du semblant. « L’identification sexuelle ne consiste pas à se croire homme ou femme, mais de tenir compte qu’il y ait des femmes, pour le garçon, qu’il y ait des hommes, pour la fille. »2 Si nous nous attendions à trouver une formule qui permettrait de nous orienter, nous pouvons nous sentir déçus, mais le flou apparent de Lacan sur ce thème touche en fait l’essence de la question, à savoir que les semblants ne disent rien sur la façon dont un sujet consent à se loger du côté homme ou du côté femme. La présence du corps de l’Autre contribue, en outre, à répéter l’embarras de la rencontre avec quelque chose qui ne va pas, qui ne fait pas rapport entre les sexes, qui met en évidence l’isolement de sa propre jouissance singulière, par rapport à laquelle chaque sujet est appelé à trouver un mode singulier de s’en débrouiller. Depuis plusieurs décennies, la chute des semblants a mis en évidence une dimension non binaire de l’identité sexuelle qui, ne s’appuyant plus sur la fonction du Nom-du-Père, exige pourtant d’être reconnue par l’Autre. En outre, il n’y a pas eu besoin de la pandémie pour constater la montée au zénith de la référence au virtuel pour se débrouiller avec le réel du sexe et avec l’impossible qui fonde les rapports entre hommes et femmes. En tant que psychanalystes, nous sommes appelés à prendre la parole dans ces domaines, pour ne pas les laisser complètement à la dérive scientiste. Nombreuses sont en effet les nuances qui affectent la clinique, au un par un, et que notre prochain congrès nous donnera l’occasion de traiter !

Silvia Morrone, AE de l’École Une.

Traduction par Violaine Clément.

 

Notes :

  1. J. Lacan, Séminaire XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Seuil, p. 33.
  2. Ibidem, p. 34.