Du réel du sexe : l’interprétation

Lettres au convegno du 29-30 mai 2022 : Interprétations exemplaires qui ont eu des effets.

Les Études sur l’hystérie sont une mine d’informations sur les tournants cruciaux qui ont conduit Freud à la découverte de la psychanalyse et de ses principes fondamentaux. J’extrais une pépite d’un cas qui met à l’épreuve la procédure freudienne d' »insistance », qui avait récemment remplacé l’hypnose, consistant à laisser le patient parler librement mais à insister lorsque le discours était interrompu : « Comme cette insistance me coûtait un effort et suggérait l’interprétation selon laquelle je devais surmonter une résistance, alors les faits se sont traduits sans tarder pour moi dans la théorie que c’était par mon travail psychique que je devais surmonter chez le patient une force psychique qui s’opposait au devenir-conscient (remémoration) des représentations pathogènes. »1

  1. L’interprétation trouve son ressort dans la rencontre avec le réel du symptôme et est « suggérée » à Freud par les formations de l’inconscient qui se manifestent comme un obstacle au dire de la part du patient. Il s’agit pour l’analyste de se faire  » plaque sensible  » pour ces signifiants qui marquent le dire de l’analysant afin que l’interprétation puisse résonner, laissant comme reste de l’opération l’objet cause du désir que l’analyste, dans sa bonté, doit incarner dans la cure.
  2. L’interprétation qu’en tire Freud est que la résistance, comme le dira plus tard Lacan, est du côté du moi de l’analyste :  » […] que j’avais à vaincre une résistance « .
  3. « C’est certainement de cette interprétation que j’ai tiré la théorie ». On peut alors en déduire logiquement que la théorie psychanalytique est ce que l’analyste vient écrire pour rendre en logique de ce qui se dépose comme le reste de l’interprétation analytique, à partir de sa propre analyse, interprétation suggérée par l’inconscient et causée par le réel, précisément par le réel du sexe qui provoque le transfert.
  4. Dans ce cas, la théorie absolument inédite et subversive que Freud en déduit, face à l’émergence de ce phénomène « brûlant » qu’est le transfert, n’est autre que celle de l’analyse personnelle : « […] qu’avec mon travail psychique je devais vaincre une force psychique chez le patient qui s’opposait à ce que les représentations deviennent conscientes ». Ce n’est pas un hasard si peu de temps après, également avec la mort de son père, Freud commencera sa propre analyse, faisant jouer à Fliess le rôle d’un Autre public à qui il adressera l’analyse de ses impasses : rêves, symptômes, actes manqués… La théorie psychanalytique avance désormais non sans la propre analyse de Freud.

Contrairement à Ferenczi, qui a ouvert à sa manière la voie à l’utilisation du contre-transfert dans la cure, nous savons que Freud est resté fidèle jusqu’au bout à cette interprétation originelle, réaffirmant à plusieurs reprises le principe selon lequel chaque analyste ne peut pousser l’analyse de ses patients plus loin que le point où il a lui-même conduit sa propre analyse. Lacan poussera cette interprétation freudienne jusqu’à ses conséquences extrêmes et inventera la passe comme une expérience capable de vérifier précisément la fin de l’analyse comme le passage du psychanalysant au psychanalyste.

Notes:

  1. Sigmund Freud, Études sur l’hystérie (1886-1895), Gesammelte Werke – vol. 1, p. 268,in Opere vol. 1, Boringhieri, Turin 1967, p. 406.