Face à l’irrespirable de la pulsion de mort, le « poumon de la psychanalyse »

Conférence de Virginie Leblanc à Lausanne, le 29 avril, dans la Journée vers le congrès de la NLS : « La Pulsion de mort à Vif ».

 

« E. M. — Qu’est-ce qui ne va pas aujourd’hui chez l’homme ? »
« J. L. — Il y a cette grande fatigue de vivre comme résultat de la course au progrès. »

Cette réponse de Lacan à la journaliste Emilia Granzotto pour le journal Panorama, à Rome, le 21 novembre 1974, semble résumer en une formule saisissante ce que chacune et chacun d’entre nous ne peut manquer d’entendre de la bouche de ses analysant.e.s, sur les écrans des smartphones qui vibrent seconde après seconde des soubresauts du monde, ou dans les rues des villes françaises par exemple, ces derniers temps, où l’on a entendu marteler un désir d’autre chose que la course au progrès, sous la forme du travailler plus et la revendication d’un autre modèle de civilisation. Dire que ces mots de Lacan sur notre actuel malaise, cette grande fatigue de vivre comme résultat de la course au progrès, n’ont pas pris une ride, serait-ce faire de lui un prophète ?

Plutôt nous appuierons-nous, et cela a été notre fil dans le dernier numéro de Mental, « Écologie lacanienne », sur la façon dont il n’a cessé de remettre sur le métier pour en extraire l’implacable logique, ce que Freud relevait dès 1930, en mettant le point final à son Malaise dans la civilisation : « Les hommes sont arrivés maintenant à un tel degré de maîtrise des forces de la nature, qu’avec l’aide de celles-ci il leur est facile de s’exterminer les uns les autres jusqu’au dernier1. » Lacan nous aide à penser les conséquences logiques d’une telle maîtrise et surtout son au-delà, soit ce qui nous échappe, mais également les nouvelles guises que revêt la pulsion de mort, dans les suites de la montée au zénith de l’objet a2.

1) Ce réel déchaînement qui nous menace

« Avons-nous passé la ligne ?3», se demandait-il ainsi à l’orée d’une nouvelle séance de son Séminaire, en ce jour de 1960, alors que les perspectives de traité de limitation des essais nucléaires seront piétinées deux ans plus tard, en pleine Guerre froide, par la crise des missiles à Cuba. Il développe là l’un des aspects majeurs de son enseignement, soit la façon dont « le service des biens », la morale et l’esthétique ne sont que de fragiles voiles pour masquer ce dont le sujet parlant ne veut rien savoir, l’objet horrible qui anime son désir et qui, faute d’être reconnu, n’en ressurgira que plus violemment dans le réel. Au point que la menace du « réel déchaînement » atomique qui plane sur ces années soixante ne constituera rien de moins que « la résorption d’un insondable déchet », ce déchet qui est la trace même de la civilisation, ce « tas d’ordures […], une des faces qu’il conviendrait de ne pas méconnaître de la dimension humaine ».

Jamais sans doute les mots de Lacan n’ont résonné aussi fortement à nos oreilles, alors que l’ordre mondial est aujourd’hui à nouveau soumis à la menace d’une destruction possible de l’humanité par le retour de la guerre en Europe et le péril nucléaire qui l’accompagne. Mais bien plus encore : car l’invasion de l’Ukraine par la Russie, à travers la question énergétique en particulier, met en relief de façon inouïe un autre déchaînement, dont il n’est plus possible de détourner les yeux. Ce déchaînement-là marque désormais de son empreinte, au quotidien, nos corps mêmes, à travers les vagues de chaleur et accidents climatiques répétitifs qui laissent présager à quel point la planète pourrait devenir inhabitable. Il nous frappe par la perte des paysages dont nous pensions qu’ils constituaient l’immuable décor de nos vies4, et interroge nos choix de vie et l’abondance des ressources énergétiques et de l’eau notamment, qui paraissaient à notre disposition de façon illimitée.

Ce qui se dévoile ici avec une puissante actualité, c’est à quel point sont liés, comme Freud l’avait déjà montré, le « sujet de l’individuel et sujet du collectif5», notre inséparation foncière, mise au jour de manière criante lors du surgissement de la Covid-19, se voyant encore renforcée par l’alarmante question écologique : car il n’y a nulle part où fuir, n’en déplaise aux savants fous qui nous promettent que Mars constituera un abri lorsque la fin des temps sera advenue. Nul Umwelt dans lequel nous évoluerions sans y participer intimement, nulle « Nature » avec sa beauté, ses plantes et ses animaux que nous pourrions contempler de loin. Nulle « Terre » que nous pensions maîtriser et que nous possédons désormais si bien que nous avons profondément modifié ses rythmes, sa géologie, son atmosphère, à tel point qu’il ne nous est désormais plus possible de répondre à l’imprévisibilité de ses réactions.

Jacques-Alain Miller, dans sa Biologie lacanienne6, avait tiré les conséquences des différents temps des élaborations de Lacan pour montrer comment le langage affecte le vivant du corps qui se jouit. Mais aujourd’hui que nous étouffons d’une part, à l’ère de l’anthropocène, du réchauffement de nos corps qui ne peuvent plus méconnaître celui du climat, et que d’autre part n’a jamais été aussi sensible la menace de « l’hiver nucléaire », c’est la jouissance du parlêtre lui-même qui a introduit, sous les coups de boutoir conjugués de la science et du capitalisme, « un grand désordre dans le réel7. »

Comme l’écrit J.-A. Miller dans un article du Point paru en 2011, « Les prophéties de Lacan » : « cette frénésie [induite par la mise à disposition de l’objet a, l’idée que notre manque à être pourrait être comblé par des objets], Lacan l’assimilait à la pulsion de mort, une pulsion compacte, abyssale, où ne reste plus que cette nécessité du retour au zéro de l’inanimé. »

Le corps vivant n’est pas une condition suffisante pour pouvoir parler de jouissance. Il n’y a de jouissance que pour les corps parlants, dans « ce rapport dérangé à son propre corps qui s’appelle jouissance ».

Anaëlle Lebovits-Quenehen, dans un article paru il y a quelques années (Le Diable probablement), reprenait la distinction que le grec ancien fait entre bios, la vie humaine, et zoé, la vie animale, définie négativement comme ce qui est non-mort, « On n’a jamais vu un animal boulimique, insomniaque, impuissant, addict ou suicidé, à part peut-être l’animal que Lacan écrivait d’hommestique pour indiquer les effets que la parole a sur lui. » Le corps de l’homme n’est pas régi par ce savoir instinctuel, la conservation de sa propre vie (zoé) n’est pas pour lui « la valeur la plus haute ». Quelque chose fait obstacle au principe de plaisir qui voudrait que l’homme soit adapté à son milieu, ce que Freud nomma « pulsion de mort », et que Lacan appelle « la jouissance », qui n’affecte pas tous les corps vivants, mais uniquement les corps parlants. C’est ce que J.-A. Miller, à la fin de son article « Biologie lacanienne », nomme « corporisation » c’est-à-dire le signifiant « affectant le corps de l’être parlant, […] devenant corps, morcelant la jouissance du corps et en faisant saillir le plus-de-jouir, découpant le corps, mais jusqu’à en faire sourdre la jouissance ».

Aussi, si on saisit à quel point il n’y a pas de pulsion de mort sans l’animal parlant (de structure), cette question de la pulsion de mort est tout de même particulièrement reliée à un temps historique, à un certain rapport du discours et de la science, disons dans un nouveau paradigme où la barrière que pouvait constituer le Nom-du-Père n’est plus, et où quelque chose de pur dans un vouloir ou un désir, nous y reviendrons, se dévoile dans l’ordre signifiant sans limite (c’est le point que je souhaite développer aujourd’hui).

C’est pourquoi Lacan n’a pas manqué d’évoquer ce « point où nous en sommes »8 et combien, face au réel qui se dévoile, face à la guerre, la pollution, face à notre négligence de la Terre et à l’angoisse du scientifique – à l’heure où d’éminents chercheurs choisissent de désobéir pour se faire entendre de la communauté internationale – la nécessité « qu’il y ait des analystes9» est brûlante.

Car quotidiennement, ceux qui nous supposent un savoir nous adressent au mieux leur inquiétude, au pire la perte de leur désir face à ce qui vient. Ce sont par exemple ces patients qui refusent de donner la vie dans un monde voué à la disparition, ces sujets qui bifurquent pour vivre autrement, ou encore plus généralement ces femmes et ces hommes qui se demandent comment habiter le monde aujourd’hui. Faut-il y vraiment y voir la marque de ce que le discours courant a tôt fait de ranger dans de nouveaux signifiants-maîtres, écoanxiété, solastalgie ? N’est-ce pas plutôt l’indice que le symptôme est affine au discours d’un Autre dont ne s’est jamais autant dévoilée l’inexistence foncière, l’absence de garantie et de consolation face à l’énigme de nos existences ? Quelle place pour l’analyste qui a l’éthique de se tenir à la hauteur d’un tel réel sans idéalisme (retour à une nature qui n’a jamais existé) ni cynisme (cf. les partis d’extrême droite qui récupèrent le discours écologique au nom de la pureté de la terre et du peuple qui l’habite), mais en se tenant à l’horizon de la subjectivité de l’époque ?

2) Un nouveau paradigme ?

Toujours dans Panorama, Lacan avance de manière surprenante : « Je ne suis pas pessimiste. Il n’arrivera rien. Pour la simple raison que l’homme est un bon à rien, même pas capable de se détruire. » Doit-on considérer qu’il s’agit d’un changement par rapport à ce que dit Freud dans les années 30 et son Malaise dans la civilisation ? Aujourd’hui que cette hypothèse de la possibilité de sa propre destruction par l’être humain semble plutôt plausible, peut-on suivre encore Lacan ?

Pierre-Henri Castel, dans son ouvrage Le mal qui vient. Essai hâtif sur la fin des temps, nouvel « horizon apocalyptique », parle d’un changement de paradigme (c’est un livre déjà daté, car il évacue la menace nucléaire, il a en effet paru en 2018, c’est-à-dire avant la guerre en Ukraine) : « Nous n’avons pas juste changé de métaphore en passant de l’hiver nucléaire au réchauffement global. On pouvait militer pour la paix en temps de guerre froide, et il n’est sûrement pas vain, aujourd’hui encore, de vouloir réduire le nombre des missiles qui encombrent nos arsenaux. Mais quand c’est le fonctionnement même de la civilisation, voire les moyens de sa prospérité pacifique qui semblent conspirer à sa propre autodestruction, il est tentant d’attendre pour voir, puisqu’on ne sait guère par où commencer à réagir. On redoute même qu’une réaction mal avisée n’accélère la venue du désastre. Et si l’on sait abstraitement, par projection quantitative, vers quel abîme on court, c’est là un savoir auquel on n’arrive pas à croire. Comme on voit, il ne s’agit pas d’un changement de métaphore, mais d’un changement de paradigme. »

Ce « savoir auquel on n’arrive pas à croire tout en sachant très bien », n’est pas sans évoquer ce « je sais bien, mais quand même », relevé par Octave Mannoni comme principe même du déni. Face à cela, pour P.-H. Castel, nous ne sommes plus dans la possibilité de réagir : « Il est impossible de convaincre un nombre croissant d’entre nous qu’il n’est pas déjà trop tard. » Autrement dit (c’est sa thèse), peut-être sommes-nous moins insensibles que résignés, voire cyniquement conscients qu’il est déjà trop tard ? Et donc : tentés de « retirer du désastre même qui s’annonce toutes les jouissances possibles ».

Si Pierre-Henri Castel insiste autant sur ce vouloir le pire qui animerait l’humanité, c’est justement parce qu’il est psychanalyste et travaille au quotidien avec la pulsion de mort et son inexorable répétition. Son postulat, s’il est certes provocateur comme il le reconnaît lui-même, pose quand même la question de sa position face à la pulsion de mort. Face à cette arrivée certaine de la fin des temps, il avance qu’on peut prédire la dissolution de l’angoisse métaphysique, existentielle, qui était celle de philosophes comme Günther Anders, par exemple, et son éviction par la peur (puisqu’on saurait ce qui nous attend).

Angoisse, anxiété, écoanxiété, crise de panique… Il n’est pas rare que les sujets qui arrivent en analyse brandissent d’abord ces étiquettes diagnostiques du siècle magma psychiatro-capitaliste que notre orientation permet de démêler.

Si l’anxiété n’est pas vraiment un terme psychanalytique, Freud tout de même en fit usage pour qualifier l’effet de l’angoisse (anxiété comme produite par l’angoisse, comme notre collègue Clotilde Leguil l’a récemment rappelé dans une émission de France Culture consacrée à ces questions). Si les troubles anxieux réfèrent plutôt au vocabulaire psychiatrique et au traitements médicamenteux, si l’anxiété est davantage connectée à la sphère du quotidien et du social (anxiety), l’angoisse quant à elle, sous l’influence notamment du philosophe Søren Kierkegaard, réfère plutôt à une question existentielle, comme un acte qui renverrait d’abord à notre singularité propre.

Quel levier activer chez ces patients face à ce avec quoi ils se présentent ? À quoi se fier pour ne pas sombrer dans une sorte de fascination pour le mal qui paraît si présente chez P.-H. Castel ? À quoi et qui se fier face à un nouveau changement de paradigme qui a de quoi déboussoler ?

3) Déboussolement ou mélancolisation généralisée ?

Le signifiant « déboussolé » a été employé il y a longtemps déjà, plus de dix ans, par Jacques-Alain Miller dans sa célèbre intervention « Une fantaisie »10, où il explicite l’expression de Lacan (1970, « Radiophonie ») sur « la montée de l’objet a au zénith social ». Il y évoque le « déboussolement généralisé » et y formule que « les sujets contemporains, postmodernes, voire hypermodernes, sont des desinhibidos, des néodésinhibés, des desamparados, des déboussolés »11. « Désemparés » désigne bien cette incertitude généralisée. Selon J.-A. Miller, ce déboussolement remonte à l’ébranlement de la « morale civilisée » par la modernité, mouvement auquel la psychanalyse a largement contribué. Dès que Freud se met à l’écoute des sujets hystériques, c’est déjà une certaine forme de remise en question du patriarcat. Cette « morale civilisée » est celle du Père, celle de la répression des pulsions au nom de la Civilisation, celle du surmoi et de la culpabilité. La tyrannie d’aujourd’hui serait plutôt celle de la gourmandise du surmoi12, dans sa version Jouis !, Consomme !

J.-A. Miller le dit ainsi : « La psychanalyse a été inventée pour répondre à un malaise dans la civilisation, un malaise du sujet plongé dans une civilisation que l’on pourrait ainsi énoncer : pour faire exister le rapport sexuel, il faut réfréner, inhiber, refouler la jouissance13. » La pratique freudienne, qui a frayé la voie à une libération de la jouissance, a aussi anticipé la montée de l’objet petit a au zénith social. Cet objet petit a, reste de l’opération signifiante du Nom-du-Père, se trouve propulsé sur le devant de la scène, notamment, dans la consommation capitaliste, modèle de la gourmandise du surmoi incitant à la jouissance.

Rappelons que dans le discours capitaliste que Lacan a explicité à l’université de Milan, en 1972, deux ans après avoir élaboré les quatre discours qui fondent selon lui le lien social, et dont il faut d’emblée noter que le discours capitaliste est une variante, et non vraiment un discours, en cela que c’est l’impossible qui sépare dans les autres modalités les quatre termes S barré, S1, S2 et petit a. Notamment par exemple dans le discours du maître, qui sépare le maître de l’objet de son fantasme, produit par l’esclave, est gommé dans ce discours capitaliste : le problème pour le discours du maître c’est qu’il ne rejoint pas son objet, il ne sait pas ce qu’est son fantasme. Il y a donc dans le discours du maître, entre S barré et petit a, un impossible à comprendre, à entendre.

À l’inverse, dans le discours capitaliste, l’impossible étant forclos, il prend l’allure folle du circuit dont Lacan relève à quel point il marche comme sur des roulettes, grâce à cette astuce de l’illimité du 8 inversé où sujet et objet sont sans cesse en continuité. Mais si, pour lui, c’est ce qu’on a fait de « plus astucieux comme discours, ça n’est pas moins voué à la crevaison », ou encore, « c’est intenable », « Ça ne peut pas marcher mieux, mais justement ça marche trop vite. Ça se consomme, ça se consume. »

Aujourd’hui que cet objet se balade, et se réalise, une autre face du pousse-à-jouir du surmoi semble être montée sur la scène, c’est celle d’une certaine mélancolisation du monde (cf. Guy Briole), cette fameuse « obsolescence programmée » est devenue « obsolescence de l’homme », comme le philosophe Günther Anders le montra si bien dès 1956, et qui fait les montagnes de déchets de nos décharges, ces déchets qui signent l’humanité même comme le dit un jour Lacan, semble avoir touché nos corps mêmes pour en dévoiler le destin inéluctable.

Comme le rappelle Daniel Roy dans l’argument pour le Congrès, Lacan a bien mis en valeur : « Les gadgets ont ceci de particulier de porter la marque de l’être qui les a fabriqués – il n’est rien qui n’aille plus vite au déchet que lesdits gadgets […]. Ça finit dans une décharge où on les démantibule. C’est tout à fait comparable au sort d’un être humain ».

Pour reprendre l’idée phare de l’article de Guy Briole, plus ces objets promettant la jouissance s’accumulent, plus ils révèlent leur incapacité, produite par le marché, à venir combler notre manque à être : « Loin du triomphe annoncé d’une jouissance partagée, c’est la chute vers la déception d’être laissé sur le bord des chemins du bonheur. À ceci s’ajoute une tristesse foncière, envahissante et qui, parfois, laisse poindre l’idée persécutrice d’avoir été trompé. Le glissement vers l’identification au laissé-pour-compte, au rebut, voire au déchet, se produit sans que le sujet ne trouve à l’endiguer. »

Ce dévoilement des semblants n’entraîne-t-il pas en effet le risque que cette lucidité fasse tomber dans la mélancolie ? Dans « Deuil et mélancolie »14, Freud a bien mis en évidence à quel point la lucidité est le trait du sujet mélancolique, qui a vu de trop près la vérité, le réel n’étant pas suffisamment voilé. Une figure de la lucidité crue, Greta Thunberg, a embarqué à sa suite des milliers de jeunes, pour faire honte à la génération de leurs parents et aux dirigeants qui, selon eux, ne font rien de tangible pour « sauver la planète ». Un double de cette jeune fille se trouve dans le roman contemporain Sidérations du romancier américain Richard Powers15. Le livre fait le portrait d’un enfant qui serait le double de Greta, qui partage avec elle son autisme, donc un certain rapport à une lucidité pointue qui va droit à l’affaire sans s’embarrasser des semblants.

4) Sidérations

Sidérations, c’est le titre du dernier récit de l’immense écrivain américain Richard Powers, connu pour ses romans-mondes polyphoniques, où il entremêle les destins individuels de ses personnages à l’histoire collective américaine. Ici, Richard Powers resserre la focale autour d’un couple en crise dans un monde en crise. Ce couple, c’est celui d’un père et de son fils, qui doivent affronter la disparition de celle qui rendait possible la joie au quotidien, Alyssa, la mère de l’enfant.

Ce monde, c’est le nôtre, mais pas tout à fait : par une légère distorsion fictionnelle, Powers amplifie et condense notre malaise dans la civilisation, en accélérant en quelque sorte les phénomènes auxquels nous sommes confrontés ces dernières années, crises à répétitions de gouvernements de type trumpiste, multiplication des pandémies et des accidents climatiques. On sait d’ailleurs à quel point Lacan prenait au sérieux la science-fiction comme art possible du dévoilement des impasses de la croyance dans le progrès scientifique.

Et justement : Théo, le père, est astrophysicien, explorateur des confins de l’univers à la recherche de nouvelles planètes, il est un père démuni, un père de l’époque de « l’évaporation du père », démuni face aux questions de son fils, Robin, qui, à 9 ans, est en passe d’être exclu de l’école au motif qu’il est incapable de s’extraire des intérêts très spécifiques qu’il a développés – pour les espèces animales en voie de disparition en particulier, qu’il passe son temps à dessiner.

Dans le récit, il y a différents niveaux de sidérations (« bewilderment », en anglais, signifie aussi bien la sidération que la perplexité) auxquels ont affaire le père et le fils, mais qui ne sont pas sans concerner le lecteur, ce qui fait la puissance et la profondeur de cet ouvrage, puisqu’au fond, la sidération est autant intime que collective, politique, et pour R. Powers, c’est la fonction du romancier que de la dévoiler.

La première sidération est bien celle du père qui, ne parvenant pas à surmonter la perte de sa femme, ne parvient pas non plus à trouver les mots pour faire entendre et soutenir la singularité de son fils dans un monde qu’il ne reconnaît plus. Son désir est littéralement en panne… à cet égard, le choix du titre et l’empan qu’il dévoile est très fort, car étymologiquement, désirer, c’est cesser de contempler l’étoile (sidera), de regretter son absence, soit faire avec la perte. Or, précisément, Théo est astrophysicien, et la seule consolation qu’il offre à son fils réside dans leur rituel de coucher, où ils passent des heures à imaginer la vie sur des planètes fictives : occasion de pages d’une beauté saisissante à cause de la langue si poétique de Powers, mais surtout du fait de la contingence du surgissement de la vie dans les lieux les plus improbables et les conditions les plus hostiles.

Mais, fasciné par sa quête, Théo ne parvient pas à affronter la perplexité – disons structurelle – de Robin, qui se mue là aussi chez l’enfant en sidération devant le fait, qu’autour de lui, personne ne semble se préoccuper plus que cela de cette 6e extinction de masse, la perte irréversible de la biodiversité du monde sauvage, pour reprendre le wild du Bewilderment, due aux conséquences du réchauffement climatique contre laquelle la mère se battait.

Cette sidération, c’est donc aussi et surtout celle du fils, la lucidité d’un enfant qui ne fait pas usage des semblants qui fondent notre rapport au monde et peuvent permettre parfois d’en supporter la crudité. Robin se révèle au fond comme une sorte de double fictif de la jeune militante Greta Thunberg (qui a d’ailleurs pu dire à quel point son autisme avait été un appui pour se lancer dans la lutte pour le climat), Greta, que Robin aperçoit d’ailleurs à la télévision avec soulagement en s’exclamant : « elle est comme moi ».

Il fait de très beaux tableaux. Pour contribuer à la cause des associations de défense, il veut gagner de l’argent. Il part à l’école, plein d’espoir pour vendre ses tableaux à ses camarades, mais il se fait insulter, et dépouiller de son argent. Tout le monde se moque de lui « Donne-moi une de tes peintures, comme ça, ça me fera un souvenir de toi quand tu auras disparu ». À la question du père sur la réaction de l’enseignante, Robin répond : « Elle m’a donné un blâme, elle a dit que c’est interdit par le règlement de vendre des trucs dans l’enceinte de l’école, et que je devrais le savoir […]. Je roulais sans rien dire. Je ne voyais pas d’argument qui puisse l’aider. J’en avais fini avec les humains – (celui qui parle c’est le père) […]. Un soir, la chaîne d’info que je trouvais la moins suspecte délaissa la crise constitutionnelle déclinante pour une interview avec l’ado de quatorze ans la plus célèbre du monde. L’activiste Inga Alder avait lancé une nouvelle campagne, en se rendant à vélo de chez elle, près de Zurich, jusqu’à Bruxelles. En chemin, elle recruta une armée de cyclistes adolescents pour aller avec elle faire honte au Conseil de l’Union européenne. Le journaliste lui demanda combien de cyclistes s’étaient joints à sa caravane. Miss Alder fronça les sourcils en quête d’une précision qu’elle ne pouvait fournir. “Leur nombre change tous les jours. Mais aujourd’hui nous sommes plus de dix mille.” Le journaliste demanda : “Mais ils ne vont pas à l’école ? Ils ne sont pas censés être en classe ? La jeune fille au visage ovale et aux couettes serrées imita un bruit de pet […]. “Ma maison est en feu. Et vous voulez que j’attende la fin des cours avant de rentrer l’éteindre ? […] Elle est comme moi, papa”. »

« Je ne voyais pas d’arguments pour l’aider, j’en avais fini avec les humains », pense le père qui se mure alors dans le silence. Il y a quelque chose chez le père de l’ordre de la mélancolie, les semblants sont trop dévoilés pour lui. Ce n’est pas étonnant que ce soit dans ce moment que l’enfant lui-même devient (ou représente) un de ces objets a de la civilisation : l’enfant comme un objet de réussite, objet narcissique, ou aussi bien comme enfant-roi.

On retrouve ici ce changement de paradigme majeur : on remet les clés de l’humanité à l’enfant. Cela va évidemment mal se terminer, en tout cas dans le livre, où Robin apparaît comme une figure du sacrifice, avec ce père scientifique qui angoisse, mais est lui-même sidéré et se perd dans les neurones de la machine qui lui permet de retrouver virtuellement son fils, faute de savoir se séparer (pousse au sacrifice du fils).

Tout se passe comme si Powers nous montrait à quel désastre mène la position du père qui mise sur la science sans assumer sa jouissance et sa part de responsabilité dans l’affaire. Comment s’extraire de la sidération, de la fascination pour la science alors même que ce sont ses effets dans la civilisation qui sont responsables d’une certaine façon de la sidération précisément ?

5) C’est la question que pose E. Laurent et la thèse extrêmement forte qu’il développe dans son dernier article, « L’angoisse du savant et son symptôme écologique »

Éric Laurent revient ainsi sur cette évocation de Lacan de l’angoisse du scientifique, sa mention la plus connue figurant dans cet entretien pour Panorama que j’ai déjà cité :

E. M. — « Quel rapport y a-t-il aujourd’hui entre la science et la psychanalyse ? ».

J. L. — « Pour moi, l’unique science vraie, sérieuse, à suivre, c’est la science-fiction. L’autre, celle qui est officielle, qui a ses autels dans les laboratoires, avance à tâtons sans but et elle commence même à avoir peur de son ombre. Il semble que soit arrivé aussi pour les scientifiques le moment de l’angoisse. Dans leurs laboratoires aseptisés, revêtus de leurs blouses amidonnées, ces vieux enfants qui jouent avec des choses inconnues, manipulant des appareils toujours plus compliqués, et inventant des formules toujours plus abstruses, commencent à se demander ce qui pourra survenir demain et ce que finiront par apporter ces recherches toujours nouvelles. Enfin, dirai-je, et si c’était trop tard ? On les appelle biologistes, physiciens, chimistes, pour moi ce sont des fous ».

Cette folie, dont nous pouvons mesurer à l’heure actuelle la portée, avec les images également que nous avons de ces scientifiques qui se révoltent justement, désobéissent et mènent des actions spectaculaires pour qu’on entende enfin ce qu’ils tentent de dire de leurs découvertes sur les conséquences du réchauffement climatique depuis des années, Éric Laurent la relie à la distinction opérée par Lacan entre désir de savoir et passion du savant : si Freud faisait de la science un idéal, idéal de vérité à atteindre pour la psychanalyse, la figure du savant se donnant comme un incontestable aboutissement de la civilisation, Lacan, comme nous le rappelle Éric Laurent écrit dans les années 30, « […] après la boucherie de la Première Guerre mondiale et au moment où se prépare la seconde, se lève le voile sur la partie ignorée par Freud et qui est l’envers de la quête de vérité, à savoir la position du savant. »

Lacan n’aura donc de cesse de questionner non la psychologie du savant, mais bien plutôt sa position, non comme idéal, mais comme figure du désir, figure qui s’est réfugiée dans la passion, comme le dit Lacan dans L’Éthique, en juillet 1960, dans cette phrase qui fait véritablement boussole sur bien des interrogations contemporaines : « Le désir de l’homme, longuement tâté, anesthésié, endormi par les moralistes, domestiqué par des éducateurs, trahi par les académies, s’est tout simplement réfugié, refoulé, dans la passion la plus subtile, et aussi la plus aveugle, comme nous le montre l’histoire d’Œdipe, la passion du savoir. C’est celle-là qui est en train de mener son train qui n’a pas dit son dernier mot. »

N’est-ce pas une façon saisissante, dans ce saut entre désir et passion, pas sans passer par le refuge, le refoulement – mais on pourrait dire également avec Laurent, la forclusion – de montrer la façon dont la science s’est nouée au désir, mais le dénouant de la responsabilité subjective du savant, le menant vers une passion qui est une passion « mortelle » ?

Passion mortelle d’avoir été transmutée par la mise au service du désir sous l’égide du pouvoir, du service du maître, le savoir devenant « vecteur de la pulsion de mort », dans la mesure où le désir se désinhiberait dans la passion de savoir, car la science, « dans un premier temps, ne peut que méconnaître les conséquences de son action ». « Ainsi le désir de savoir, tel que la psychanalyse le met au jour, se distingue de la passion du savoir en ceci qu’il ne doit pas méconnaître les conséquences de son action » (É. Laurent). Ainsi mis au service du maître, dans ce contexte de montée au zénith de la science alliée au capitalisme, le savant, désinhibé, désincarné, coupé de sa responsabilité subjective, pourrait être le symbole du sujet de la science, coupé de son corps, coupé de l’angoisse qui peut accompagner le savoir, désarrimé du discours, dans une quête de savoir illimitée.

Là où l’empereur de Chine, par exemple, avait interdit toute production de sel au-delà des chiffres souhaitables pour maintenir la paix sociale, l’harmonie confucéennes de la société, à l’inverse, au siècle de Galilée, celui qui vit naître l’homme nouveau, « maître et possesseur de la nature », (XVIIe siècle comme moment de la désinhibition), « […] le Grand-Duché de Toscane a joué à Florence un rôle de rapprochement entre Galilée et la corporation des fontainiers pour tenter des expériences de forage plus profonds. » Comme le développe É. Laurent, « […] ce lien assurera des développements théoriques et pratiques nouveaux, poursuivis par les élèves de Galilée comme Torricelli, contribuant à la sortie du placard théorique de la nouvelle physique. »

Comment réarrimer la science au discours, quand le sujet de la science est coupé de ses déterminations signifiantes, forcluant le trauma affectant le corps, excluant la jouissance de ses recherches ? Voilà pourquoi, s’orientant des crises d’angoisse qui ont pu saisir les physiciens qui mirent au point la bombe atomique, comme Robert Oppenheimer, en passant par celles de biologistes devant la production de bactéries inarrêtables jusqu’aux scientifiques qui aujourd’hui mènent des actions spectaculaires et s’engagent, mus par leur angoisse, c’est-à-dire leur responsabilité, Éric Laurent redonne toutes ses lettres de noblesse à la crise d’angoisse comme productrice d’interdit – « comme le montre la logique de la phobie » –, réponse à l’envahissement du Petit Hans par exemple, constitution d’un bord qui circonscrit, via la mise en forme, signifiante, d’un objet d’abord irreprésentable.

Ne pourrait-on s’orienter alors d’une telle angoisse, celle des savants qui « appelle à un débat public sur la place de la science dans notre monde », celle de nos analysants, la nôtre aussi bien, comme possibilité de viser la séparation sans la ségrégation, ou une ségrégation interne disons, ou extime ? Ou pour citer É. Laurent : « plutôt que la méconnaissance et le rejet de ce point d’horreur rencontré, l’angoisse, si elle est constituante, peut être l’aiguillon qui ouvre un monde clos. »

Voilà en quoi il est sans doute possible de s’orienter non de la boussole du Nom-du-Père symbolique (ce n’est pas un hasard sans doute si la fin du Séminaire X était censée ouvrir à la pluralisation des noms du père, séminaire que Lacan ne tiendra jamais), mais boussole de l’angoisse comme productrice, constituante, un usage donc, qu’on peut rapprocher de cet usage que Lacan nous invite à faire du Nom-du-Père, « s’en passer, mais pour s’en servir », dans ce moment civilisationnel de dévoilement des semblants et de mise au jour du réel hors sens qui est notre lot quotidien, comme analystes, mais aussi comme analystes-citoyens.

Émouvant que ce soit ce terme, « angoisse constituante », que reprend É. Laurent qui avait, lors de la rencontre que nous avons faite avec lui, vraiment touché Bruno Latour, qui s’est reconnu dans cette proposition du passage opéré par Jacques-Alain Miller (Journées d’automne, en 2006), d’une angoisse constituée, celle de l’affect qui paralyse et inhibe, à l’angoisse constituante, celle qu’on peut manier en analyse, qu’on peut reconnaître, mais également reconstruire après coup également, par exemple à la fin d’une analyse.

Là où Lacan avait pu saisir ses auditeurs en leur disant que, s’ils se pressaient si nombreux à son séminaire, c’était parce qu’il lui arrivait de leur faire honte (c’est dans son Séminaire VII, L’Envers de la psychanalyse), peut-être en ces temps de vacillement des semblants ne faut-il pas si vite désangoisser l’autre, mais plutôt, lorsque bien sûr cela s’indique cliniquement, dans l’analyse, apprendre à manier cette angoisse pour qu’elle n’écrase plus le sujet, mais lui indique la voie de son désir, non devant lui, mais comme objet cause réapparu, détaché, dans le réel.

Comme le rappelle J.-A. Miller, l’angoisse constituante est surtout constitutive de la possibilité de l’acte qui permet de s’extraire de toute mélancolie devant le réel : « L’objet rien, autour duquel gravite le phénomène de l’angoisse, du moins dans cette construction, dicte le deuil qui est à faire de tous les objets, ce deuil où se creuse la place d’où le sujet pourra assumer l’acte analytique. »

Alors l’analyste lui-même aura chance de pouvoir incarner cet objet dans sa version déchetisée, après avoir incarné le sujet supposé savoir, pour « faire de sa position le principe d’un nouveau discours, l’analyste, comme déchet représentant ce qui, de la jouissance, reste insocialisable » (le salut par les déchets). Ou comme le dit Lacan à Nice, en 1976, dans sa conférence sur « Le phénomène lacanien » :

« Déchet. L’analyste – au moins ai-je essayé de faire qu’il y ait des analystes de cet acabit – est quelqu’un qui réalise – le pire est qu’il faut qu’il le réalise lui-même – que ce dont il s’agit dans l’effet de toute culture, au fond du fond du tourbillon, je veux dire ce qui fait cause – eh bien, c’est un déchet. Tout le monde ne s’en aperçoit pas, mais seul a le droit de s’autoriser d’être vraiment un analyste celui qui s’en est aperçu. Être un déchet est ce à quoi aspire sans le savoir quiconque est un être parlant. Quiconque est un être parlant est pris dans ce tourbillon qui est la vraie course de son désir – désir dont vous avez sans doute appris à l’occasion que c’est l’essence de l’homme. Un certain Spinoza s’en est aperçu, bien avant que la psychanalyse existât. Dieu merci, il jette un voile sur ce qu’il en est de l’authentique cause du désir. »

Voilà en quoi, pour finir, Éric Laurent parle de la psychanalyse comme poumon, en reprenant ce mot de Lacan intervenant sur France Culture en 1974, il parle également d’analyste compensatoire, mais certainement pas dans le sens du comblement, mais plutôt comme celui qui permet d’avoir à faire avec un objet s’étant dénudé et détaché, permet non sans une certaine légèreté de retrouver sa voie singulière dans les méandres du malaise, pas sans les autres donc.

 

Notes:

  1.  Freud S., Le Malaise dans la civilisation, Paris, Points, 2010, p. 173.
  2.  Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 414 : « Y suffirait la montée au zénith social de l’objet dit par moi petit a, par l’effet d’angoisse que provoque l’évidement dont le produit notre discours, de manquer à sa production. »
  3.  Lacan J., Le Séminaire, livre vii, L’Éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 271.
  4.  Cf. les mots de la vice-présidente du GIEC, Valérie Delmotte-Masson : « Les gens doivent faire le deuil de paysages qu’ils aiment et ne retrouveront plus », Royer de S., « Climat : l’été de la fin de l’insouciance » Le Monde, 20 août 2022, disponible sur internet.
  5.  Cf. Lacan J., « Le temps logique », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 213, note 2 : « le collectif n’est rien, que le sujet de l’individuel ».
  6.  Miller J.-A., « Biologie lacanienne et événement de corps », La Cause freudienne, no 44, février 2000, pp. 7-45.
  7.  Miller J.-A., « Le réel au xxie siècle. Présentation du thème du ixe Congrès de l’AMP », La Cause du désir, no 82, mars 2012, pp. 92-93.
  8.  Lacan J., En Italie Lacan, Milan, La Salamandra, 1978, p. 105.
  9.  Ibid.
  10.  Miller J.-A., « Une fantaisie », Mental, n° 15, février 2005, pp. 9-27.
  11.  Miller J.-A., « Une fantaisie », Mental, n° 15, février 2005, p. 9.
  12.  Lacan J., « Télévision », Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 530. Voir aussi « La gourmandise du surmoi », La lettre mensuelle n° 135, Paris, École de la Cause Freudienne, janvier 1995.
  13.  Miller J.-A., « Une fantaisie », op. cit., p. 19.
  14.  Freud, S., « Deuil et mélancolie » (1917), Paris, PB Payot, 2013.
  15.  Powers, R., Sidérations, Arles, Actes Sud, 2021.