Finales

Le texte a paru le 5 janvier, 2023 sur le blog ZADIG. 

À la lumière de la psychanalyse, du structuralisme et de sa lecture critique de Nietzsche, Foucault considère que l’ « homme » en tant que tel est un concept historique et non un axiome ou une vérité hors du temps. Tout comme Nietzsche annonçait – à tort – la mort de Dieu, Foucault hasarde la mort de l’homme comme événement exprimant la finitude sur le plan de l’historicité. La dernière phrase de son œuvre « Les mots et les choses » (1966) est sans doute inquiétante : « Un jour, l’homme sera effacé, comme un visage dessiné dans le sable au bord de la mer ». Pour Foucault, cela impliquait le soulagement d’admettre que les idées et les institutions humaines n’étaient pas des concepts fixes, mais pouvaient être constamment modifiées. La post-modernité que ce grand intellectuel anticipait était conçue par lui comme la possibilité que quelqu’un vienne toujours dessiner un nouveau visage et concevoir un style différent.

Aujourd’hui, de nombreux penseurs, philosophes et universitaires, issus d’horizons différents et dont les idéologies ne coïncident pas nécessairement, célèbrent l’extinction imminente de l’être humain comme un événement inévitable qui fait partie de cette échéance à laquelle toutes les espèces sont condamnées. Parmi les différentes positions qui coïncident pour rendre l’être humain responsable de la catastrophe planétaire et, avec elle, de la disparition de l’Homo Sapiens, deux méritent d’être soulignées : l’antihumanisme et le post-humanisme.

L’antihumanisme anthropocénique soutient que l’espèce humaine n’est pas naturelle par définition. Force est de constater que, formulés de la sorte, les arguments ne manquent pas. La psychanalyse elle-même, en considérant l’être parlant comme exilé de toute racine naturelle, nous attribue le rôle d’incarner le pouvoir destructeur des mots. Il est vrai que le concept de nature est lui-même une fiction discursive, mais il n’en reste pas moins que l’agonie de la Terre est un réel qui ne peut être nié que dans un exercice de cynisme éhonté. Il est évident que les cataclysmes se sont multipliés au cours du dernier demi-siècle, et que les objectifs de limitation du réchauffement climatique sont absolument faux, puisqu’ils sont mathématiquement insoutenables. Face à l’évidence brutale que le capitalisme a évolué jusqu’à une limite qui conduit à une destruction sans alternative, pour obtenir une réduction des dommages, il faudrait mettre en œuvre la décroissance économique, ce qui signifierait la condamnation de milliards de personnes. Au contraire, ne pas le faire produirait le même résultat.

Sous ce même postulat de Scylla et Charybde, les post-humanistes ont misé tous leurs espoirs sur la disparition technologiquement organisée de l’espèce humaine et son remplacement progressif par des organismes génétiquement et mécaniquement transformés par l’ultra-ingénierie. La nanotechnologie, l’intelligence artificielle qui évoluera vers un pouvoir de la raison bien supérieur à celui de l’homme, voilà le credo que propagent les post-humanistes, convaincus qu’en abandonnant notre condition humaine, nous échapperons aux limitations biologiques qui nous retiennent prisonniers de la fragilité de notre corps. Cette impuissance ne sera plus qu’une caractéristique de la vie animale.

Les antihumanistes, en revanche, sont enclins à utiliser tous les moyens possibles pour retarder l’extinction de notre espèce, mais du point de vue d’une hypothèse philosophique dépourvue de toute dramaturgie, et qui suppose que notre extinction est un fait qui fait partie du cycle naturel du monde physique, tout comme l’extinction d’une étoile. Au fond, la position antihumaniste implique le rejet de l’être humain comme entité suprême du monde vivant.

La glorification de l’espèce humaine perd de sa force et son discrédit s’étend de plus en plus. Il est possible que l’antihumanisme et le post-humanisme puissent être considérés comme des expressions néo-millénaristes d’un monde convulsé par le sentiment de la finitude et de l’impossibilité d’arrêter la crise écologique, la pente suicidaire du capitalisme qui s’est lancé vers l’étape de son auto-réalisation définitive, qui coïncidera avec la disparition de la planète. Mais nous ne devons pas oublier que le capitalisme n’est pas un discours descendu du ciel et qui a répandu son évangile pendant des siècles dans ses différentes versions. Il a été le produit de l’invention humaine, soutenu par l’action humaine, et défendu, remis en question, attaqué, reconstruit, transformé, multiplié par l’action humaine.

Antihumanistes et post-humanistes sont des modalités qui divergent et convergent pour nous rappeler que nous ne sommes pas les marionnettes d’un hasard qui, un jour, nous a pris d’assaut.

Dans une conférence prononcée le 12 mai 1972 à Milan, Jacques Lacan soulignait que le capitalisme était le « discours le plus astucieux » qui ait jamais existé, mais que cela même serait sa perte, puisqu’il était destiné à « éclater » alors qu’il allait vers sa consommation. Il n’est pas facile d’interpréter cette phrase, ni ce que Lacan a voulu transmettre, étant donné qu’à aucun moment il ne s’est prononcé sur ce que deviendrait le monde si cela devait arriver. Quel est le rôle de la psychanalyse dans ce débat ? La psychanalyse est une praxis qui se situe du côté de la vie, bien que le renoncement à la « furor curandis » dont Freud nous prévenait réduise toute omnipotence et nous permette de comprendre que nous ne pouvons pas nous arroger la fonction d’être l’Autre de l’Autre, ni dire la Vérité sur la Vérité.

Gustavo Dessal, membre de l’AMP (ELP).

Photographie sélectionnée par l’auteur.