La monnaie de la Poya

Conversation avec Nicolas Roulin, 27 mai 2021, par Violaine Clément et Alexandra Clerc. Lu, relu et collationné le 3 juin 2021, le 5 juin 2021. Nicolas Roulin.

Violaine Clément : Nicolas Roulin, tu es responsable adjoint d’un foyer d’accueil « bas-seuil », à Fribourg. On se connaît depuis très longtemps, mais je ne savais même pas que ça fait douze ans que tu travailles dans l’asile. Donc, est-ce que c’est un choix que tu as fait là ?

Nicolas Roulin : C’est arrivé comme ça…

V.C. : Tu peux nous expliquer un tout petit peu ?

N.R. : Les dix années avant de travailler pour mon employeur actuel, je m’occupais de chômeurs, de chômeurs en fin de droits. Des programmes d’occupations pour des chômeurs en fin de droits ici pour treize communes autour de mon village. Et puis, c’est là que j’ai commencé la relation avec les personnes en les occupant pour essayer de les faire ré-émerger.

V.C. : Donc le chômage, c’étaient déjà des gens qui étaient un peu cassés. 

N.R. : Oui, tout à fait. Surtout en fin de droit. On retrouve la même problématique avec les requérants d’asile en fin de droit.

V.C. : Donc, c’est une population qui te touchait. 

N.R. : Oui, oui, disons. C’est un travail qui me convenait. J’avais les compétences pour le faire, semblerait-t-il. Puisqu’on est venu me chercher pour faire ça. Et puis, ils (mes supérieurs) ont estimé que ma palette de compétences était la bonne pour ça. Y’avait le côté humain déjà dès le départ, puis le côté manuel, la débrouille, la totale, quoi. Pour réaliser quelque chose. C’est ce qu’on me demandait, de réaliser quelque chose.

V.C. : Donc au fond, bricoler ?

N.R. : Bricoler, bricoler, c’est le mot juste.

V.C. : C’est un mot qu’on utilise beaucoup.

N.R. : Et ça continue.

V.C : Tu es un bricoleur !

N.R. : Oui.

V.C. : Ton employeur est en fait une agence de placement.

N.R. : C’était une filiale d’une agence de placement, mais ça ne l’est plus. Ça, s’est modifié. Maintenant, c’est vraiment l’accueil, l’hébergement et l’encadrement des requérants d’asile, c’est vraiment ça maintenant.

Alexandra Clerc : Et l’aide sociale, ils ont actifs aussi dans l’aide sociale aux requérants d’asile ou réfugiés dans pas mal de communes en Suisse allemande.  Ils ont un mandat total, des fois dans les communes.

N.R. : Dans les communes, en Allemagne, en Autriche et en Italie.

A.C. : Oui, c’est une grosse boîte à but lucratif, il faut le dire. 

V.C. : Donc pour moi, c’est ça qui est intéressant parce que les mots recouvrent des choses. Et là, on va garder les lettres qui vont recouvrir d’autres mots qui recouvriront d’autres choses. Toi, Alexandra, tu travaillais au SEM (Secrétariat d’État aux Migrations).

A.C. : Oui, c’est le Secrétariat d’État aux migrations, qui a été une suite de l’Office fédéral des Réfugiés, qui a fusionné avec l’Office fédéral des Étrangers, qui est devenu l’Office fédéral des Migrations. Et puis ensuite, le Secrétariat d’État aux migrations. Ça a été une progression, on peut dire, puisque le directeur est devenu Secrétaire d’État, c’est à dire d’un niveau égal à un ministre pour pouvoir négocier avec l’étranger. C’était un peu ça, c’est Simonetta Sommaruga qui en avait changé le statut. C’est comme le SECO, le Secrétariat d’État à l’Économie, pour que les directeurs aient le niveau nécessaire pour aller négocier à l’étranger.

V.C. Donc, toi, Nicolas, tu travailles dans une entreprise qui, il y a 12 ans, aurait très bien pu t’adresser ailleurs. Tu n’as pas choisi a priori de t’occuper de migrants ?

N.R. : Oui, à ce moment-là c’était déjà le mandat de l’encadrement des requérants d’asile.

V.C. : Et ce mandat-là, il était donné par qui ? Qui a engagé ton employeur pour faire ce travail ?

N.R. : C’est le Canton. Non, c’est un mandat cantonal auquel nous sommes soumis. Chaque canton fait à sa manière.

V.C. : Ça veut dire qu’en Suisse, 26 cantons peuvent avoir des mandats différents. 

A.C. : Oui ! Et on pourrait dire chaque organisation grignote les différentes parts de marché.

V.C : Donc, c’est une organisation à but lucratif. Et toi, comme chacun de nous, tu as besoin de gagner ta vie. Tu ne travaillerais pas pour ça. Tu n’es pas un bénévole. 

N.R. : Non. Les bénévoles travaillent différemment.

V.C. : Alors comment, ce serait quoi la différence entre un bénévole et toi ? Les bénévoles travaillent différemment, tu peux en dire un peu plus ?

N.R. : Le bénévole, il a des idéaux : « Je veux aider. » C’est le truc qui revient toujours. Je veux aider. Je veux faire ma part. Comme ça, j’aurai mes pauvres, comme on dirait juste là, à côté, dans l’église. L’entretien a lieu juste à côté de l’église du village.

Tandis que moi je ne m’occupe pas de « mes pauvres ». Moi, j’ai la responsabilité de personnes, de gens qui sont en face de moi. C’est différent.

Ces personnes sont des gens vulnérables que l’on se doit de protéger, de guider et de traiter comme le font des professionnels et leur rendre la vie la plus positive possible.

V.C. : Et cette responsabilité, au fond, elle t’est donnée par une institution qui te paie. Est-ce que cette institution te donne un cadre, t’indique comment tu dois faire ?

N.R. : Oui, oui, mais le plus gros cadre, c’est quand même la législation, la Loi qui nous dit : voilà, il y a quelqu’un, un requérant d’asile débouté, qui a une décision négative et qui doit quitter la Suisse. Et nous, on doit appliquer ça. Donc on doit mettre une plus grande distance entre le requérant et nous qu’un bénévole ne le mettrait.

V.C. : Parce que les gens dont tu t’occupes au foyer de la Poya, ce sont tous des déboutés. Donc tu t’occupes de gens, c’est quand même une position étrange, tu t’occupes de gens à qui on a dit non, vous ne resterez pas en Suisse. 

Et effectivement, actuellement, il y a une grosse polémique qui nous fait croire qu’on vient de découvrir qu’une grande partie d’entre eux s’en vont tout seuls.

N.R. : Mais les déboutés c’est autre chose. Ils ne s’en vont pas, ils disparaissent.

On ne les voit plus dans les bases de données.

A.C. : Mais entre la statistique qu’on a vue l’autre jour au Téléjournal, les je ne sais plus combien de milliers de personnes qui ont disparu du radar, du système, et les déboutés dont tu t’occupes, il y a une différence, c’est-à-dire que les déboutés dont tu t’occupes, c’est des gens qui sont là, qui devraient pouvoir partir, mais qui ne peuvent pas partir ou qui ne veulent pas partir. Parce qu’il y a plusieurs handicaps, plusieurs difficultés à quitter le territoire suisse. Soit le pays n’est pas d’accord, soit il ne les reconnaît pas. Soit il n’y a pas de vol, soit peu importe…

N.R. : …soit ils sont déjà totalement intégrés en Suisse.

A.C. : Soit ils sont totalement intégrés en Suisse. Mais s’ils sont totalement intégrés en Suisse, le canton a toujours la possibilité de leur donner un permis B.

N.R. : C’est très, très rare.

A.C. : C’est très très rare. Mais ça, ça relève de la politique cantonale. Certains cantons en donnent plus que d’autres.

V.C. : C’est quand même curieux parce que nous, on est en train de s’occuper de gens dont on voudrait qu’ils partent ailleurs, alors qu’on n’arrête pas d’entendre parler de gens qui voudraient venir ici. Donc toi, tu t’occupes de gens à qui on a dit non, vous ne pouvez pas être là.

N.R. : Vous n’avez pas la qualité de requérant d’asile. (Vous devez partir, mais en attendant vous pouvez demander une aide d’urgence et obtenir un toit.)

V.C. : C’est ça, or, un requérant d’asile, c’est celui qui demande l’asile. Mais pour avoir la qualité de requérant d’asile, il faudrait quoi ?

N.R. : Je ne sais pas.

A.C. : C’est plutôt : Vous n’avez plus la qualité de requérants d’asile ou vous n’êtes pas reconnu comme répondant aux critères qui déterminent l’asile. Il y a cinq critères : être en danger pour des raisons de race, de religion, etc… Tout ça, c’est l’article 3 de la Loi sur l’asile. Donc, vous devez quitter le territoire. Ou bien il y a l’autre possibilité : Vous ne remplissez pas les conditions, une des cinq conditions de la Loi sur l’asile. Mais on ne peut pas vous renvoyer parce que si vous rentrez dans votre pays, vous risquez d’être tué ou bien pour des raisons de santé, ou bien… Dans ce cas, les personnes reçoivent une admission provisoire. Ça, c’est un peu les finesses légales, si on veut. Donc on dit non, mais oui.

V.C. : Ta question à toi n’est donc pas de dire si c’est bien ou pas bien qu’on ait décidé ceci ou cela, puisque d’autres que toi décident. L’administration s’occupe de découper les choses. Quelqu’un décide et toi, tu fais.

N.R. : J’applique !

V.C. : Tu appliques. Est-ce que c’est une position supportable éthiquement, pour toi ?

N.R. : Ça se travaille 🙂  (Note : C’est comme un gardien de prison !)

V.C. : Comment tu fais ?

N.R. :  Mon Dieu ! J’évacue, de temps en temps. (En fait, souvent !)

V.C. : Donc il y a des situations compliquées.

N.R. : Des situations qui font mal. ( !)

V.C. : Est-ce que tu pourrais nous dire, est-ce que tu as le droit de nous parler d’une situation ? Si on ne la reconnait pas, évidemment, une situation qui pour toi a été dans les situations compliquées, qui ont remis en cause ta capacité de faire avec.

N.R. : (Note : j’ai côtoyé, selon une vague estimation, près de 2000 à 2500 personnes qui demandaient l’asile en suisse et qui ont eu des dénouements divers ! Allant du permis B avec les honneurs, au départ immédiat ! Un seul cas serait évidemment difficile à trouver ou à isoler !)

Chaque départ qui n’est pas un départ volontaire du pays, chaque départ où la personne est mise en détention pour être expulsée ou déposée dans un avion pour rentrer au pays, ça, ce sont toujours des questionnements. Bien sûr, c’est la première personne que j’ai eue il y a 12 ans, qui a été la plus terrible. (TERRIBLE !) C’est là que j’ai remarqué qu’il fallait vraiment mettre une sacrée distance entre moi et les personnes. Non, entre moi et les dossiers plutôt.

V.C. : Parce qu’entre toi et la personne, il y a un contact.

N.R. : Avec la personne il y a toujours quelque chose qui se passe…

V.C. : Tu peux nous en dire quelque chose, de cette première expérience ?

N.R. : On m’avait averti le vendredi… (silence) que le lundi matin, la police viendrait chercher telle personne. Et puis bon ben ça, c’est des trucs, comme j’étais responsable de foyer, qu’on doit garder pour soi. Tu ne peux pas le divulguer ou plutôt c’est mieux de ne pas le divulguer. Et puis, arriver tranquillement le lundi matin à 7h00, alors que d’habitude j’arrive à 7h30 ou 8h00, mais d’arriver à 7 heures, pour être sûr que la dame était là, au foyer, pour accueillir tous les gens qui venaient la chercher pour la mettre dans la voiture. (…le fourgon cellulaire et la conduire en détention en attendant un retour forcé.)

V.C. : Effectivement, tu n’as pas du tout été dans ta tête à toi. Ce n’était pas forcément ça que tu imaginais.

N.R. : Je n’étais pas préparé. Et puis, après ils l’ont mise en détention administrative à la prison centrale à Fribourg. Après, on peut aller, enfin on nous demande d’aller apporter les affaires personnelles de la personne à la prison. Souvent, c’est ça qui est assez terrible. C’est qu’on est à dix mètres de la personne, peut-être de l’autre côté du mur, et il y a impossibilité de voir la personne, de revoir la personne. Quand on sait que cette personne a été, entre guillemets, mise en détention, on ne la verra plus du tout.

V.C. : Et ça, tu ne le savais pas avant.

N.R. : Je ne le savais pas avant.

V.C. : Donc toi, quand tu vas lui apporter ses affaires, tu penses que tu vas pouvoir la voir et lui dire au revoir.

N.R. : Voilà mais ça, tu oublies ! On n’a jamais pu dire au revoir (décemment) à quelqu’un qui doit quitter la Suisse.

V.C. : As-tu une idée de la raison de ça ? Parce que c’est vrai que je pense que d’autres ne le supporteraient pas. On voit déjà que pour toi, ce souvenir-là est présent, c’est comme si c’était hier. Donc, est-ce que tu as compris la logique ? Est-ce que c’était pour éviter précisément que tu sois trop touché ?

N.R. : Non, tout. Ça n’avait rien à voir avec moi. C’est une question administrative.

(Note : …et dans la logique administrative il n’y a à aucun moment un truc qui peut s’appeler « au revoir » « adieu » ou, comme je le dis quelquefois quand je sens le vent venir : « Tout de bon à vous » !)

A.C. : Je peux dire quelque chose ? Parce que ça, c’est des pratiques cantonales, décidées par les Cantons. Respectivement, les décisions sont prises au niveau fédéral et c’est au niveau des cantons qu’on décide, que la police débarque pendant la nuit, (Commentaire NR : Jamais pendant la nuit) ou débarque tôt le matin pour embarquer quelqu’un.

V.C. : C’est la police qui décide ça ?

A.C. : Alors c’est le canton qui mandate la police pour faire ce job-là. C’est de la responsabilité cantonale, donc tous les cantons n’agissent pas de la même façon. Il y a des cantons, il faut le dire, en Suisse alémanique, Argovie, Thurgovie, qui, dès qu’une personne reçoit un délai de départ, mettent la personne en détention administrative systématiquement. Donc, ils n’ont pas de foyer d’accueil « bas-seuil ». Et puis, ils ont un taux de renvoi au top parce que les gens quittent la prison pour quitter la Suisse en avion et au revoir ! 

Donc ça, c’est une pratique… Genève pratique autrement, le canton de Vaud, autrement, et le canton de Fribourg dans ce cas-là… Mais je ne pense pas qu’il agisse comme ça pour tous les cas. 

N.R. : Non, non, non.

A.C. : Il y a des cas où ils viennent comme ça tôt le matin. Effectivement, ils mettent la personne en détention juste avant de la mettre dans l’avion. Mais c’est extrêmement dur. C’est extrêmement dur.

N.R. : Chaque fois qu’ils viennent chercher quelqu’un. C’est dur. ( !)

V.C. : Est-ce que quand tu dois faire une chose comme ça, parce que quelque part, on ne t’a pas demandé ton avis – et on voit bien l’effet que ça produit – est-ce qu’il y a possibilité de refuser ? Qu’est-ce qui se passerait si tu refusais ?

N.R. : Je n’en sais rien, je n’ai jamais essayé.

V.C. : Tu serais probablement renvoyé.

N.R. : Ou blâmé, ou quelque chose comme ça.

A.C. : Ou si tu choisissais la possibilité d’avertir le requérant d’asile, parce qu’il y a des gens qui ont fait ça…

N.R. : Oui, ça s’est eu fait. Nous, au foyer, on laisse faire, on collabore avec la police. (Avec l’autorité)

V.C. : Collaborer, c’est un mot fort.

A.C. : Oui, ça s’appelle collaborer.

V.C. : Et donc on pourrait dire ça rappelle quand même d’autres époques.

A.C. : Oui, bon pas à ce point-là.

N.R. : Mais on collabore beaucoup avec la police. Mais ça, c’est spécifiquement pour un foyer « bas-seuil ».  Pas forcément pour les renvois, ou les choses comme ça, mais on collabore pour la tranquillité du foyer, c’est ça.

(Note : cette collaboration tient plus du fait qu’il y a des requérants « délinquants » et que ces personnes ne doivent pas nuire aux autres personnes qui sont dans le foyer en état « normal » ?! Il n’y a rien à voir avec une collaboration passée et/ou historique !)

V.C. : Ça, c’était l’autre partie de la question, qui se discute beaucoup ces temps. Il y a une enquête qui a été faite sur ces violences faites par les services chargés de la sécurité, donc qui ne sont pas non plus ton employeur, mais d’autres services engagés. Donc, encore une fois, des services à but lucratif engagés pour faire régner la sécurité dans les camps. Donc, vous, vous avez un service de sécurité ?

N.R. : C’est totalement différent des centres fédéraux d’accueil, comme Boudry, ou Giffers. Nous, c’est totalement différent. Là, la différence, le principe de notre foyer, c’est que le requérant d’asile une fois débouté, il ne lui reste qu’une seule chose à faire, c’est de venir chez nous, aller au canton, au service de la population et des migrants, et de demander l’aide sociale. C’est ce que nous, on ferait pour quelqu’un de « chez nous » et qui doit aller demander de l’aide d’urgence au service social.

(Note : Notre personnel de nuit et de week end est formé (formation continue interne) à encadrer et à gérer les requérants d’une façon humaine et professionnelle. Si cela devait devenir « plus chaud » la police est appelée en renfort. (On a des moyens techniques efficaces pour cela. Ce n’est pas nous qui faisons ou appliquons la loi.)

V.C. : C’est une demande, ça veut dire ça ne va pas de soi.

N.R. : Non, l’aide d’urgence c’est sous forme de demandes. Et puis le requérant doit, en temps normal, hors Covid, passer une fois par semaine au canton pour aller demander et revalider sa demande d’aide d’urgence. Et puis, le canton met un tampon, un Stempel : « c’est bon, pour cette semaine, vous pouvez recevoir l’aide d’urgence ».

A.C. : L’aide d’urgence, c’est dix francs par jour. 

N.R. : Chaque jour, ils viennent chercher de la monnaie au foyer. Donc, c’est la monnaie unique, dix franc. Et en même temps, c’est ce qui fait qu’ils continuent à venir. Parce que s’ils n’avaient pas ça, ils ne viendraient plus.  (Ils iraient où ?)

Pour une partie, oui, c’est ça.

V.C. : Et autrement, c’est quoi qui fait qu’ils continuent à venir parce que c’est des conditions terribles ?

N.R. : Je ne sais pas. Moi j’en avais rencontré, lors de ma première semaine de travail. J’étais allé dans un centre de requérants d’asile déboutés sur Zürich, et là, ils touchaient dix francs en bons Migros. Parce qu’à la Migros, tu ne peux pas t’acheter de l’alcool. Et puis, ça s’appelle les Siebentag, sur Zürich, pendant sept jours tu es dans ce foyer de requérants d’asile déboutés. Après sept jours, tu dois aller au service de la population des migrants de Zürich. Tu vas là-bas à pied bien sûr, parce que tu ne peux pas te payer le bus, et puis quand tu arrives là-bas, ils te disent : Ah ! la semaine prochaine, vous allez dans ce centre là-bas pour sept jours. Pendant ces sept jours, ils touchent les bons Migros là-bas, puis ils reviennent, puis la semaine d’après ils les renvoient dans un autre centre à l’autre bout de Zürich.

V.C. : Et pourquoi ?

A.C. : C’est dissuasif.

N.R. : … pour les dissuader de rester en Suisse.

V.C. : Donc en fait, tu es chargé par ton employeur de dissuader des gens ?

N.R. : Moi pas ! Non, moi pas. Le Canton, le service de la population des migrants, eux, leur rappellent à tous les coups : votre job, c’est de quitter la Suisse. Moi non, je ne suis pas là-dedans.

V.C. : Bien sûr, mais en même temps, on pourrait dire que les gens ici ne savent pas comment ça se pratique, comme moi qui le découvre à mon âge. Est-ce que ta famille est au courant de ce que tu fais ?

N.R. : Mon épouse, oui !

V.C. : Tes enfants, pas.

N.R. : Un peu.

V.C. : Est-ce que c’est quelque chose qu’on peut partager ? Quand on rencontre quelqu’un dont tu peux discuter avec des gens en général, as-tu l’impression que c’est compris ? Qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce qu’on te dit ?

N.R. : (rire) Qu’il faut qu’ils foutent le camp, que la barque est pleine… des choses comme ça. Ah ben oui, la barque est pleine quand même, oh !

V.C. : Personne ne te dit : mais quelle horreur de devoir vivre ça ! 

N.R. : Non !

V.C. : Donc la plupart des gens, quand ils entendent à quelle sauce ils sont traités, de quelle manière ils sont traités, la plupart des gens trouvent qu’ils ont bien de la chance.

N.R. : Mais on n’arrive jamais aussi loin dans nos discussions, parce que je sais que c’est source de conflit. Je n’ai pas envie, je n’ai pas envie d’expliquer aux gens tout ce que je fais.

V.C. : C’est d’autant plus aimable que tu sois d’accord de nous le dire à nous.

N.R. : Vous, c’est bon ! mais c’est toujours difficile de prendre le temps. Après, il y a des arguments tellement cassants qui arrivent en face, que tu te dis : non, c’est bon, je ne discute plus. J’ai tellement vécu ça.

V.C. : Est-ce que tu as l’impression que pour faire ce travail, il faut presque être Superman, pour supporter de faire ce travail ?

N.R. : Pas Superman, mais Super Bricoleur peut-être. (Ou humain tout simplement !?!)

Oui, parce qu’il il y a le côté humain, ça c’est une chose. Mais après, il y a toute l’organisation, les trucs de sécurité, la sécurité de la personne, des travailleurs, des collaborateurs, je gère tout, quoi. La première fois que j’ai eu la visite d’un grand chef directeur, qui, il y a huit ans, a débarqué en plein milieu d’une de nos séances de Team à Estavayer, il a demandé, est-ce que je peux participer ? Ben oui chef ! (C’est vous le chef !) Puis il avait été épaté, justement, du fait qu’on s’occupait de la commande de la palette de papier de toilette jusqu’au rendez-vous chez le psychiatre de la famille X qui n’allait pas bien, parce que la fille allait dans tous les sens. Notre palette de discussion dans notre réunion de TEAM, ça passe par tous les problèmes de la vie quotidienne.

Les mêmes q’une famille, quoi.

A.C. : Si tu permets, j’aimerais te poser une question. Parce que pour ces gens qui sont déboutés ou ont reçu une « non entrée en matière » c’est des gens qui sont censés partir ou être partis, est-ce qu’il y a moyen de faire un travail d’accompagnement comme ça ?

N.R. : Oui, oui. Oui, mais on n’a aucun moyen de pression sur eux. Côté financier, on peut enlever deux francs sur les dix francs. On peut sanctionner de deux francs par jour tous les migrants récalcitrants.

A.C. : Et les sanctions, c’est pourquoi ?

N.R. : Alcool, fumée, bagarre, sortie de couteau et compagnie. Après, le canton peut expulser les requérants d’asile déboutés de notre foyer d’accueil. Ça se fait, oui.

A.C. : Et ils vont où ?

N.R. : Dans la nature, ça, c’est la question. (En attendant de réintégrer le foyer)

V.C. : Cela veut dire que dans le nombre de disparus, il y a peut-être des gens qui ont disparu parce qu’on leur avait interdit de revenir.

A.C. et N.R. : Non pas ceux-là, ce ne sont pas les mêmes.

N.R. : Non ça c’est les « méchants ».

V.C. : Les méchants, par exemple, c’est quoi les méchants ?

N.R. : Ceux qui coûtent plus de deux cent mille francs à la collectivité, c’est clair (rires)

V.C. : En faisant quoi par exemple ?

A.C. : Ben en restant là !

N.R. : Tout, Marsens (l’Hôpital psychiatrique, le Torry Alcool et toxicomanie, la prison…)

V.C. : C’est ceux-ci qui énervent les gens, qui prennent nos places dans les hôpitaux psychiatriques, nos places dans les hôpitaux.

N.R. : Ils y ont leur place, ils payent leur LAMAL, disons, on paye la LAMAL pour eux, comme les autres.

V.C. : Donc au fond, pour toi, quand tu dis les méchants, tu utilises un jeu de mots parce que tu les considères comme méchants, ceux qui doivent aller en hôpital psychiatrique, par exemple ?

N.R. : Ben non, quand ils sont en face de nous, on essaye. Là, il y en a un qui est revenu il n’y a pas longtemps, ben on l’écoute, on met des moufles, et puis on essaye de ne pas l’égratigner pour que ça se passe bien. Pour qu’il ne pète pas les plombs, qu’il n’aille pas se torcher la gueule et revienne au foyer complètement bourré, sorte un couteau… et puis massacre tout.

(Note : quand je dis méchant, je ne dis même pas « méchant », je veux juste dire que c’est une personne qui demande une attention soutenue et du travail supplémentaire !)

V.C. : Donc vous mettez des moufles en fait toi tu n’es pas du tout, ni le bras armé du canton, ni le marteau…Donc cette position, comment la qualifierais-tu ? Parce que j’aime bien l’idée du bricolage. J’aime bien aussi l’idée de l’adjoint. En fait, je me retrouve beaucoup moi. Je me suis toujours déclarée adjointe. En fait, on pourrait dire presque que tu es un peu leur adjoint, tu essayes de faire en sorte qu’ils ne plongent pas.

N.R. : Oui, mais c’est toute l’équipe. Toute l’équipe travaille avec les requérants avec leurs caractères. Ma belle-mère dirait leurs djindjettes, leurs trucs… Ce sont pour certains des caprices de princesse.

V.C. : Tu pourrais nous donner un exemple ? Parce que c’est parlant quand même. Nous, on appellerait ça le symptôme. C’est avec ça qu’on fait des liens. 

N.R. : Ça fait partie de la relation qu’on a avec chaque personne. On sait que celui-là il est plutôt avec un caractère comme ci ou comme ça !

V.C. : Et donc vous, vous faites attention de considérer que ce caractère, c’est eux. Il faut qu’ils soient accueillis 

N.R. : Oui, et reconnus comme une personne. Quand ils arrivent en face de nous, je ne leur dis pas : vous êtes requérants d’asile déboutés. Je leur dis : vous êtes une personne. On vous accueille. Moi, je dis toujours : bienvenue ! quand on a fini toute la procédure de papiers, de photos et compagnie… Je leurs dis : bienvenue au foyer. Parce qu’on les accueille, puis après, on essaye d’y faire au mieux. Et puis, voilà quand un « pète les plombs », les autres viennent souvent nous dire : mais qu’est-ce qu’il a eu ?

Ils se préoccupent les uns des autres. Ils se tiennent les coudes.

V.C. : Ils viennent se plaindre les uns des autres parfois ?

N.R. : Bien sûr ! Après, on a aussi nos indics (rires). « Il y a celui-ci qui deale un petit peu, l’autre là-bas il a une copine suissesse… »

A.C. : Pour avoir une idée, combien y a-t-il actuellement de déboutés dans ton foyer ?

N.R. : On en a une quarantaine, en raison du Covid, parce qu’autrement, ce serait soixante, septante !

V.C. Avec le Covid, vous travaillez plus tranquilles ?

N.R. : Non, parce qu’on a dû mettre des requérants ailleurs…

A.C. : Ça ne veut pas dire qu’il y a moins de déboutés, mais qu’ils ont été répartis.

V.C. : Tu en es responsable aussi ?

N.R. : Oui, mais indirectement. On gère les dossiers, et maintenant, ils ont ouvert un autre centre à Grolley pour faire un deuxième foyer d’accueil « bas-seuil ».

V.C. : C’est joli la différence que tu fais entre s’occuper des gens, les accueillir, et gérer les dossiers. Tu fais la distinction entre la personne et ses papiers.

N.R. : Alors, attends… Même trois ! Parce que le dossier du requérant, on le leur dit dès le début, c’est entre eux et le SEM, on n’a rien à voir avec ça. On ne veut rien en savoir. On reçoit les décisions, oui, mais on ne peut pas influencer les demandes d’asile. Si on avait la moindre prise sur ces dossiers, ce serait invivable.

A.C. : Mais ça veut dire que vous n’entrez pas non plus en discussion pour expliquer…

N.R. : Si, plus ou moins, quand on en connaît la finalité.

A.C. : Parce que dans d’autres foyers, quand les gens ne sont pas, comme ceux qui sont chez vous, au bout de la procédure (c’est ça, les déboutés), il est possible d’expliquer à quelqu’un que la décision est négative, mais qu’il y a des possibilités de recours.

N.R. : Ça existe dans les centres fédéraux, il y a Caritas, le CSP, il y a l’aide aux personnes, mais nous, on n’a plus tout ça, parce qu’on n’en a pas besoin. Il arrive que lorsque quelqu’un vient en disant qu’il a reçu un document auquel il ne comprend rien, qu’on l’envoie au service juridique de Caritas, qui entre exceptionnellement en matière parce qu’ils sont déboutés, s’il y a possibilité de faire une demande multiple, ou des choses comme ça. Nous, on leur donne simplement des pistes en leur disant avec qui ils peuvent essayer de discuter.

A.C. : C’est ça, vous n’expliquez pas. J’ai quand même une question, qui tient à la modification de la loi depuis 2019, depuis laquelle il n’arrive dans les cantons que des gens qui ont reçu une décision positive, soit admis provisoires ou réfugiés, et qui sont pris en charge par Caritas ; soit alors des gens qui ont reçu une décision négative, en bout de course, et qui arrivent chez toi.

N.R. : Ou alors, il y a ceux qui ont dépassé les cent quarante jours, et qui sont un peu sur le ballant…

A.C. : C’est un peu une minorité.

N.R. : C’est devenu une minorité.

A.C. : Parce que maintenant, tout le début de la procédure se passe dans les centres fédéraux. C’est quand même une autre façon de travailler pour vous. Qu’est-ce que ça a changé ?

N.R. : Avant, le foyer était plein, à un niveau qui est resté stable durant dix ans, mais maintenant, ça augmente, et vu le Covid, qui fait que maintenant il n’y a plus de sortie possible, ça s’accumule, ça prend de l’ampleur, c’est même énorme. Je ne sais plus combien on a de requérants d’asile déboutés, des RAD (requérants d’asile déboutés) ou des NEM (non-entrée en matière) dans le canton, mais on frise les deux, trois cents. Ils devraient tous être dans notre foyer, mais ils sont dispatchés un peu partout, en attente…

V.C. : Donc, si un tiers d’entre eux disparaissent, tu as dû en avoir un certain nombre. Que fais-tu dans ce cas-là ?

N.R. : Rien !

V.C. : Tu dois signaler leur absence ?

N.R. : Oui, enfin, c’est une question administrative, chez moi. Ce qui doit être noté, c’est jusqu’à quand je les ai « payés », et après, on va les signaler comme disparus au canton, qui à son tour les signalent disparus au SEM, qui va boucler le dossier, clore le chapitre, clore la demande d’asile.

V.C. : Pour toi, le fait qu’on en parle, ces derniers temps, tu trouves que c’était justifié ? que ça intéresse quelqu’un ? Tu sembles dire que ce n’est pas nouveau, que tout le monde est au courant. Donc rien de neuf dans ces disparitions ?

N.R. : Non… (Rien)

A.C. : Mais ce qu’il y a de neuf et qui a été changé avec la nouvelle loi sur l’asile, c’est qu’il y a des centres de départ. La Gouglera, est typiquement un centre de départ. Les gens sont placés là juste avant de partir. Ils vont être exfiltrés.

V.C. : On a l’impression d’être dans une pièce de théâtre absurde, ubuesque. On regarde ce qui se passe dans le monde, et on se doute que ça ne va pas s’arrêter là, que ça va continuer, voire augmenter. Et en Suisse, on continue tranquillement à décider qu’on n’entre pas en matière, en sachant très bien qu’ils ne vont pas partir.

N.R. : On applique la loi. La loi est appliquée, on leur dit qu’ils doivent quitter la Suisse. (Cette même loi est aussi appliquée dans tout l’espace Schengen)

A.C. : Ce qu’il faut savoir, c’est que la loi sur l’asile a changé, qu’elle est entrée en vigueur tardivement, fin des années quatre-vingt, et qu’entre temps, il y a eu huit ou dix modifications, en quarante ans, C’est une des lois qui a le plus changé. Comme tu le disais, chaque pays essaie de trouver une solution, ou des solutions. Et ça, c’était quand même la plus compliquée qu’on ait pu trouver, mais de fait la plus dissuasive. Quand on te met dans un centre, dont tu sais que tu vas devoir sortir pour rentrer chez toi…

V.C. : Ils savent, tu crois ?

A.C. : Évidemment qu’ils savent…

V.C. : Mais ce que tu dis, Nicolas, c’est que depuis douze ans que tu travailles dans ce centre, tu serais bien incapable de leur expliquer ce qui va advenir d’eux. Tu dois faire avec quelque chose que toi-même ne sais pas. Ils devraient rentrer chez eux, mais on sait que ce n’est pas possible. Ainsi cette enseignante qui m’avait dit qu’elle ne pouvait pas enseigner à quelqu’un en sachant qu’il allait mourir… Comment fais-tu, toi ?

N.R. : Alors, peut-être que je suis comme les requérants d’asile déboutés, qui attendent leurs dix francs chaque jour. Pour moi aussi, chaque jour est un jour, et chaque jour, tu profites de ce que tu vis avec le requérant, sans trop te poser la question du lendemain. C’est quelque chose que je connais, je n’arrive jamais à me projeter sur l’agenda à plus d’une semaine. Je suis content d’aller travailler aujourd’hui… Déjà, avec mes chômeurs, à l’époque, je savais à quelle heure et où je commençais mon travail, mais je ne savais jamais quand ni où j’allais le finir, dans la journée.

V.C : Tu finis tard ?

N.R. : Non, peut-être, peut-être pas ! (Oui, souvent trop tard !)

V.C. : (rire) Tu es un bouddha, tu n’es pas fait comme la majorité des gens…

N.R. : Peut-être que j’ai une certaine sérénité, parce qu’en effet, avec ce qu’on voit, il faut avoir une certaine zénitude, du flegme.

V.C. : Et c’est loin d’être de la flemme. On sent à quel point ça te travaille. Ça nous touche aussi, de voir à quel point tu es touché. C’est aussi ça qui est parlant, comme quelqu’un qui travaillerait tout le temps aux soins intensifs, et qui pourrait dire qu’il n’en peut plus. Ça t’est arrivé de dire que tu n’en pouvais plus ?

N.R. : Non. (Pas encore ! 🙂

V.C. : Alors, c’est quoi ton truc, ta zénitude ? ça serait utile de savoir… Bon, il y a ton épouse.

N.R. : Oui, elle est à mes côtés.

A.C. : C’est assez remarquable, cette acceptation de ce qui est et de ce qui va arriver, de cette réalité dure à laquelle tu es confronté, toi comme eux, ces requérants déboutés, que tu accompagnes, que tu apprends à connaître, avec qui tu travailles. Il y a une acceptation de ce cadre légal auquel, comme eux, tu te soumets.

N.R. : Je ne peux rien y changer. Quand je vote, eh bien, ça ne change rien.

A.C. : Tu ne peux rien changer, mais en même temps, tu restes à côté d’eux, et ça, c’est remarquable.

V.C : Tu as entendu parler ou vu passer ces images terribles, à Ceuta, ou en Sicile ?

N.R. : Moi, je ne regarde pas trop. (…la télévision)

V.C. : On pourrait y voir en effet de la perversion… Toi, tu votes, tu prends ta responsabilité de citoyen, mais tu ne vas pas te faire du mal en allant voir…

N.R. : Il y en a déjà assez !

A.C. : Quand la réalité est dure comme ça, il n’y a pas besoin d’aller en voir à la TV.

N.R. : Oui, et les émissions comme InfraRouge, je n’écoute pas, parce que j’aimerais dire qu’on oublie le nonante pour cent de ce qui existe pour ne parler que du petit dix pour cent qui reste, et qui sont des détails. Ce qui sort dans les médias, ce ne sont que des détails.

V.C. : Qu’est-ce qui ne serait pas un détail pour toi ? Que penses-tu qu’il faudrait dire ?

N.R. : Qu’on accueille des personnes, des gens, pas des dossiers. Une demande d’asile, c’est un document, mais effectivement, c’est une personne, en face de nous, qui attend, qui demande une décision. Comme tu le disais avant, on est maintenant à cent quarante jours. J’ai eu des gens à Estavayer ou à Sugiez qui ont attendu pendant trois ans, quatre ans, et qui disaient : Mais dites-moi, je peux rester ou je dois foutre le camp ? Ça commence à leur prendre la tête, et ça part dans tous les sens. Après deux ans, trois ans de procédure, ils demandaient : Je veux savoir ! Je veux savoir ce qui se passe avec moi. Même si c’est non, c’est bon, je veux savoir. Ça, c’était avant. Maintenant, avec ces cent quarante jours, ça répond mieux à cette demande que j’ai beaucoup entendue.

V.C. : Dans cette demande, ce qu’ils voulaient, c’était vraiment savoir ?

N.R. : C’était de pouvoir se poser, se poser sur une décision, sur une branche. À partir de là, ils pouvaient savoir où aller, que faire.

A.C. : Je trouve très révélateur ce que tu dis, tu parles de personnes, de requérants d’asile, mais à aucun moment tu ne parles de migrants. Parce qu’on a longtemps appelé migrants les gens qui bougent tout le temps. Parce que ceux dont tu nous parles viennent là se poser quelque part…

(Note : N’y a-t-il pas eu beaucoup de migrants européens qui ont migré vers l’Afrique ? On appelait ça des « colons » ?).

N.R. : … et se protéger (de ce qu’ils ont vécu et fui).

V.C. : As-tu une situation qui t’a ouvert un savoir nouveau ?

N.R. : Je n’en ai pas qu’une… Mais, quand je n’en entends plus parler (d’un requérant) parce qu’il a réussi, parce qu’il s’est intégré, quoi… Il y a toujours de l’espoir ! Quand ils ont réussi, ils sont intégrés et parfois même ils ont obtenu un permis, j’en ai eu, rarement, mais par exemple, celui qui reçoit tout à coup un octroi de travailler.

V.C. : Une erreur ?

A.C. : Non, il y a plein d’incohérences…

N.R. : Non, un Stempel, un droit de travailler qu’ils cherchent, et que celui qui a trouvé son job, n’a plus recours à l’aide sociale. Il vivote, content de peu, puisqu’il a plus de dix francs par jour. Il arrive à se faire oublier, à avoir une vie. J’ai toujours eu des ribambelles d’enfants dans mes différents centres, ça a toujours été un plaisir pour nous. Les naissances, ce n’était pas vraiment génial, parfois, parce que tu savais (imaginais) comment la femme avait payé son passage vers l’Europe. Je n’ai jamais essayé de savoir qui était le père. J’ai eu deux douzaines de naissances, au minimum deux par année. Tu me demandais le truc qui me permettait d’avancer : c’est la petite pancarte devant le foyer : un bébé est né. (Mamouna, Isaias, Mohamed… : Bienvenue au foyer).