Une journée clinique à Genève sur « Le traitement psychanalytique de l’autisme »

Information et programme : Journée Clinique sur l’Autisme, Samedi 18 janvier 2020

 

Cette journée, organisée avec talent et convivialité par Nelson Feldman, a commencé par la présentation par Nelson Feldman du parcours remarquable de S. E. Tendlarz, auteure entre autres d’un « ¿A quién mata el asesino? » qui a ouvert la journée par une première discussion entre les nombreux participants sur la difficulté de sa traduction. Mais c’est l’auteure d’un livre récent, “Clinique de l’autisme et de la psychose dans l’enfance”, et la directrice de la chaire “Clinique de l’autisme et de la psychose dans l’enfance” à l’Université de Buenos Aires, reconnue internationalement, qui est venue nous parler de l’autisme et de son traitement. Commençant par situer le diagnostic de l’autisme dans la diachronie, puis dans la synchronie, elle a démontré que si l’autisme a été et est encore pour certains le pôle extrême de la psychose, voire de la schizophrénie, ce n’est plus ainsi qu’il s’agit pour nous de l’entendre.

À quoi sert-il de poser un diagnostic sinon à décider du traitement de la cure ? S.E.Tendlarz part de l’hypothèse que l’autisme n’est pas une psychose. Or elle fait remarquer que plus personne ne parle aujourd’hui de psychose, à part les psychanalystes ! Pourtant, ce n’est que depuis 2010 que dans notre champ, l’autisme se détache de la psychose. Il faut également très longtemps lorsqu’on reçoit un enfant pour poser ce diagnostic. La présentation de Sandra Cisternas éclairera ce point. Le diagnostic, certes nécessaire, n’est pas le traitement.

Le temps est indispensable au clinicien pour faire un diagnostic sous transfert, temps pendant lequel on travaille, on trouvaille même, puisque, pour Eric Laurent1, c’est la forclusion du trou qui signe l’autisme.

Contrairement à ce qu’on entend souvent, l’enfant autiste n’est pas isolé. Il est dans les structures du monde, il nomme quelque chose de l’époque. Preuve en est qu’il existe au moins 200 films sur l’autisme, qui racontent ce qui concerne l’humain. Le signifiant est en pleine expansion, on est tous un peu autiste, l’expression devient à la mode. L’autiste est-il normal ? Que faire de cette découverte assez récente remettant en cause la position récemment mise au jour du nazisme du célèbre docteur Asperger ? Nous savons depuis peu que tous les enfants avec le diagnostic de psychopathe-autistique étaient voués à la mort. À quel aveuglement avons-nous participé à la suite de Lorna Wing, et qui continue aujourd’hui où le signifiant d’Asperger fait encore florès pour les associations d’autistes ?

Certains noms de psychanalystes très connus sont liés à l’autisme, ainsi Kanner, Mahler, et Bettelheim, mais leur travail, bien que souvent remarquable, a été l’occasion de terribles levées de boucliers contre la psychanalyse. Il suffisait de parler aux USA des mères réfrigérateurs pour mettre à bas la psychanalyse. Or les parents ne sont pas la cause du sujet dans la structure. Le « bain de la langue » produit sur le sujet une certaine disposition de la structure. Mais c’est surtout, dans la dernière orientation lacanienne, la question du retour de la jouissance sur un corps sans trou que pose l’autiste. Il s’agit donc pour l’analyste de parler la même langue que l’enfant afin de lui permettre d’élargir un peu sa langue, fût-ce par métonymie. L’analyste, dans une sorte d’autisme à deux, vise à s’encapsuler lui aussi pour entrer dans le monde de l’enfant, pour déplacer la carapace, pour créer un bord autistique, pour produire un circuit.

Ce mot d’« itération », mot aussi rare en France qu’en Argentine2, ajoute à la notion de répétition l’idée de chemin, de trajet, donc de circuit. Comment se fait-il que les autistes parlent, et soient parfois si recherchés dans le monde du travail ? La nouvelle clinique de l’autisme est originale, et contrairement à celle de la psychose, elle est dynamique, puisqu’elle ne vise pas la recherche d’une stabilisation. Ainsi S.E. Tendlarz présente le cas clinique d’une jeune enfant, suivie durant 5 ans, qui avait acquis sous transfert des îlots de compétence, devenant ainsi par exemple capable de chanter devant toute son école, et qui a pu les retrouver, après un moment de perte due au choc subi par la mort d’une grand-mère adorée.

Si l’énigme de la sexualité et de la mort est une question pour chaque sujet, traiter un autisme comme une psychose peut avoir de graves conséquences. Ainsi la question de la médication se pose-t-elle, les neuroleptiques n’ayant aucun effet sur l’autisme. L’autisme ne peut évoluer vers une autre structure.

Dominique Tercier pose la question du diagnostic, encore plus difficile pour un adulte. S.E. Tendlarz ajoute que, pour les adultes, les moyens mis en place sont partout insuffisants.

Après un repas pris en commun, qui a permis des rencontres plus informelles entre participants, deux cas furent présentés l’après-midi, l’un par Juliette Duval, sous le titre « Construire un bord pour ne pas mettre tout par terre », mettant en lumière le mode original de transfert de ce jeune garçon, qui lui envoie des messages plusieurs fois par semaine, se plaignant à l’analyste-arbitre, sur le terrain, des excès langagiers de la mère-coach dans les vestiaires. Christiane Ruffieux, discutante, qui a mis en place à Aigle une structure très intéressante permettant l’accueil d’enfants autistes et de leurs parents, pose parmi d’autres questions sur l’objet autistique la question de la position de l’analyste dans le transfert. S.Tendlarz rappelle que le diagnostic d’autisme ne peut se faire que sous transfert.

Sandra Cisternas a présenté ensuite, sous le titre « Un cœur brisé et interdit », un cas difficile d’un enfant qu’elle a accompagné durant plus de huit ans, ce qui n’est pas possible sans un désir décidé et orienté, sans une analyse personnelle et des contrôles réguliers. Là encore s’est posée la question du diagnostic, qui, s’il est indispensable, ne remplace pas le travail, mais qui l’oriente. Silvia Geller a pris position sur la nécessité politique d’être précis dans le choix des signifiants.

Laurence Vollin, auteure de nombreux livres, et mère d’une enfant autiste aujourd’hui adulte, nous a lu un extrait de son livre remarquable3. Elle montre comment l’autiste, par ses actes, ne fait pas que de la stéréotypie, mais tente de dire quelque chose qu’il s’agit d’entendre. Elle expose avec tact comment l’analyse lui a été nécessaire pour trouvailler avec sa fille, inventant, au cours de ses absences dues à sa maladie, des signifiants que sa fille a pu reprendre, comme « Je reviens », devenant la clé de leurs échanges. Son discutant, Frédéric Pacaud, rappelle4 qu’il convient de s’enseigner du savoir que les parents ont sur leurs enfants. Là encore, la question du diagnostic a été évoquée : psychose ? autisme ? Lorsque la recherche dans les livres d’un savoir sur l’autisme a pu être abandonnée par sa mère, Anne-Laure s’en est rendu compte. « Sans la psychanalyse, je n’aurais pas pu. Et écrire, c’est aussi faire entendre quelque chose de ce que la psychanalyse permet de faire. » Frédéric Pacaud rappelle la pression qui est faite dans le canton de Vaud, et en Suisse en général pour une rééducation des autistes.

Juan Pablo J.P. Lucchelli, invité pour son livre remarquable de 20185 pose d’emblée que l’autisme a une origine neurobiologique « cérébrale ». Peut-on dès lors traiter l’autisme ? En tout cas pas avec des méthodes comportementalistes. Puisqu’on naît autiste, il s’agit d’utiliser un judo lacanien biologique.

En bon judoka lacanien, Juan-Pablo J.P. Lucchelli cherche donc chez ses adversaires les points forts, et trouve chez Mottron un bon tuyau. Il rappelle qu’il existe des autismes propotypiques, (Kanner, Asperger), et des autismes syndromiques, souvent liés à des maladies génétiques.

À la guillotine française, ne conviendrait-il pas dès lors d’opposer la formule suisse, qui marche mieux ? Il rappelle comment Lacan a lu la brutalité du traitement d’une Mélanie Klein dans le premier cas d’autisme présenté par une psychanalyste, le cas Dick.

Puisqu’on naît autiste, il n’y a pas de refoulement (citant son maître Serge Cottet), et pas non plus de déclenchement : c’est donc la précocité du trouble qui fait la différence. J.P. Lucchelli démontre que Simon Baron-Cohen, trente ans après Lacan, a repris le miroir lacanien, bien que de façon incomplète. Certes, il faut lire Lacan jusqu’à son dernier enseignement.

Olivier Clerc, discutant avisé, reprend l’idée, avancée tout au long de cette journée, que s’il y a un savoir, il est du côté de l’autiste, dont il s’agit, comme le dit J.P. Lucchelli, de détecter le mode d’emploi. Serge Guetta rappelle que les enfants, autistes ou pas, doivent tous chercher le mode d’emploi de leurs parents…

Supposer un sujet dans l’autisme ne signifie pas pour J.P. Lucchelli faire fi des recherches biologiques. Lacan ne rejetait pas la biologie, mais il en a fait une autre, une biologie lacanienne. La question se pose de la possibilité de parler avec les scientifiques qui cherchent eux aussi à comprendre l’autisme, avec leurs outils. Mais est-il possible de parler avec eux de ces questions qui font l’os de notre travail ?

Olivier Clerc reprend l’idée de J.P. Lucchelli, qu’il a reprise de Jean-Claude Maleval, qu’il n’y a pas de traitement psychanalytique classique de l’autisme. Pourtant, il y a quelque chose que les autistes peuvent enseigner aux psychanalystes, pour autant qu’ils ne cherchent pas à comprendre, mais à en apprendre quelque chose.

Nous avons tous appris quelque chose de l’effort remarquable que font les psychanalystes aujourd’hui pour se laisser enseigner par les autistes, sans pour autant laisser de côté ni les parents, ni les savants qui cherchent encore, et qui, jusqu’ici, n’ont pas trouvé ce qui cause l’autisme. Cela n’empêche aucun psychanalyste de réinventer et de trouvailler avec les autistes qui acceptent la rencontre.

Violaine Clément

 

Notes:

  1. La batailler de l’autisme, Le Champ freudien, 2013, De la clinique à la politique.
  2. Comme Jacques-Alain Miller l’a dit à S.E. Tendlarz qui cherchait à la traduire…
  3. Hors protocole, L’Harmattan, Handicap, autisme, famille, fratrie… Décalage, paru en septembre 2019, avec une préface de Laurent Dupont.
  4. Citant Laurent Dupont dans la préface de son livre sus-mentionné, citant lui-même Christiane Alberti.
  5. Autisme : quelle place pour la psychanalyse ? avec Ariane Giacobino et Jean-Claude Maleval.