Bien sûr, je suis un extraterrestre !

Karl Beaudelere : KXB7

Conversation avec Karl Beaudelere le 27 août 2022.

Comme tous les autres, cet entretien est enregistré, car je crains de remplacer les mots des autres, de ceux que j’entends, par les miens… KXB7 s’en amuse, il me rassure, il fait confiance à cette personne avec laquelle il a accepté si facilement de parler, par WhatsApp, en audio. il a confiance, mais je ne verrai pas son visage. Est-il masqué ?

Le livre publié dans la collection Les cahiers du dessin, Karl Beaudelere, Visages atomisés, est une perle qui donne à voir le travail de cet artiste dont une section du Musée de l’Art Brut à Lausanne expose actuellement les autoportraits.

On peut entendre de nombreux entretiens avec KXB7 à la radio ou à la Télévision. Je vous recommande celui-ci, par Florence Grivel.

Et on peut lire de nombreux textes dans des journaux et des revues, parmi lesquels je vous conseille cet article paru tout récemment.

L’image reproduite ici est le premier autoportrait dont il est question en fin d’entretien. Il est publié avec l’accord de l’artiste. Nous l’en remercions vivement.

 

Karl Beaudelere, KXB7 : En plaisantant, je dis la vérité…

Violaine Clément : Vous avez beaucoup d’humour, n’est-ce pas ?

KXB7 : J’essaie…

V.C. : Il y a une grande différence entre l’humour et l’ironie. Vous dites que vous avez fait une psychanalyse en faisant vos autoportraits, et ça m’a frappée. Je me suis dit que c’était très vrai, mais que je ne comprenais pas. Nous distinguons en effet l’humour de l’ironie. Pour l’humour, il faut être plusieurs, pour l’ironie, on peut être tout seul. Vous êtes intéressés à rire avec les autres ?

KXB7 : … Je vais essayer. Je me sens souvent en avance sur les autres. Ce n’est pas par prétention, mais j’ai une faculté d’être prémonitoire dans tout ce que je vois. Donc souvent, je sens des choses qui, chaque fois que je l’ai dit aux autres, ont causé des disputes sur la vérité.

V.C : C’est ce que nous a appris Lacan en disant que l’artiste précède le psychanalyste.

KXB7 : Alors malheureusement, ce n’est pas que je veuille précéder, mais c’est intrinsèque pour moi, malheureusement, parce que quand vous pensez et que vous voyez des choses, on vous prend pour un fou…

V.C. : Ça concerne les autres, ça !

KXB7 : Oui, bon, ça concerne les autres, mais moi, je ne suis pas plus fou que ce que je suis !

V.C. : Mais non, bien sûr ! Mais j’ai lu, en fait j’ai dévoré le livre qui vient de paraître sur votre œuvre et que vous allez dédicacer à Lyon. Je n’avais pas du tout vu tout cela avant, mais cet été, je me promène à Lausanne, et l’affiche me scotche. C’est le mot que je vous ai adressé en visitant le musée, et c’est aussi le mot de cette amie artiste en réaction à un de vos autoportraits que j’ai publié sur FB. On voit bien que vous aussi, vous avez été scotché, vous aussi, par votre propre image sur le miroir…

KXB7 : …tout à fait ! Vous voulez que je vous raconte ?

V.C. : Oui !

KXB7 : En fait, il faut revenir bien en amont. Ça veut dire que j’étais quelque part à l’aube de quelque chose, un peu tout, euh, beaucoup de difficultés : j’étais séparé de la mère de mon fils, je n’avais plus d’argent. Bien avant, j’avais divorcé d’une autre femme, c’était compliqué, cinq ans de divorce, j’avais tout perdu, mes parents, ça c’est dans la biographie. Je me retrouvais au pied du mur, j’avais quitté mon poste d’agent de sécurité dans lequel j’avais été un an, poste que j’avais pris après avoir fait cessation d’activité pour avoir des fiches de paie, puisque je n’avais pas de chômage. Dès que j’ai eu trouvé le petit appartement en ville que je cherchais, j’ai tout lâché. Donc je me suis retrouvé un an au chômage, et puis au RDA, au RMI.

Et là, c’étaient les premiers pas de ma nouvelle vie.

Donc de 2007 à 2009, où je commence à faire du stylo à bille, je m’essaie à tout, et je cherche à être artiste, sur le tard. Comme beaucoup d’autres, je l’ai appris, mais contrairement à ceux qui cherchent à bidouiller à partir de leur savoir de peintre, de dessinateur, moi, rien de tout ça, jamais ! Je n’y suis jamais arrivé enfant, je n’ai même pas essayé. On était encore dans les concepts des Beaux-Arts à devoir faire comme il fallait le faire, je n’y arrivais pas. En plus, gaucher, dyslexique, je n’y arrivais pas… De 2007 à 2009, je m’exerce un peu à tout, à tout ce qui passait par la main, à faire quelque chose artistiquement. Il y avait des trucs, mais je n’avais pas encore trouvé ma voie. En 2009, je me mets à faire des dessins au stylo à bille, à recopier des images. Forcément, parce que de toutes façons, je ne savais rien faire, je n’étais pas dans le concept – ce n’est pas péjoratif- de quelque chose, j’essayais plutôt à voir si je pouvais sortir quelque chose de ce que j’arrivais à digérer graphiquement. Peut-être que je me trompais, certainement, donc j’ai sorti des dessins sur feuilles d’imprimante, des reproductions de ce que je trouvais, des monstres… Et en fait, ça a plu à une galerie qui s’appelle La Poissonnerie, qui se trouve dans le quartier d’Endoume.

Et donc, j’avais exposé mes reproductions d’œuvres dans cette galerie. Il y avait quelques semblants d’autoportraits mais qui ressemblaient à des reproductions de ce que j’avais fait. Ce n’était pas bien, j’étais encore dans un vrai travail, et j’avais fait ça. Et donc, il m’aura fallu neuf dix mois, presque plus d’un an et demi, pour me dire qu’effectivement, il y avait peut-être quelque chose dans le stylo à bille, je n’avais pas encore trouvé ma voie. Et donc en 2010, après cette expo, je me dis qu’il va falloir que je me mette sur un miroir, parce que sur une reproduction, je n’arrive pas à trouver la matière. Et de toutes façons, je n’avais pas les sous pour me payer un modèle. Ce n’était certainement pas un modèle que je cherchais, et j’avais au fond en face de moi quelqu’un en chair et en os. J’aurais pu trouver la matière, mais c’était certainement parce que je devais me retrouver face à moi-même en face du miroir que je me suis mis à reproduire sur le miroir, sur une feuille de 44 sur 55 approximativement, du papier Canson. J’ai mis un mois pour le faire, et ça s’est fait en 2010. Et donc, à la fin de cet autoportrait, au bout d’un mois, j’étais en larmes.

V.C : On sent bien, quand vous parlez comme ça, qu’il s’agit d’une naissance. Vous êtes né en 2010.

KXB7 : Certainement, même en 2011. Le 4 août 2011, c’est la fabrication de mon masque.

V.C. : Donc après ces mois de grossesse, vous êtes un peu auto-engendré. Votre masque, votre nom, ce n’est pas quelqu’un d’autre qui va vous le donner.

KXB7 ; Oui ! En fait, c’est une chrysalide, Karl Beaudelere. En fait, je ne suis pas Karl Beaudelere. Je suis plutôt KXB7. Karl Beaudelere, c’est un hommage à Charles Baudelaire, Charles Baudelaire. C’est une chrysalide, chose que j’explique chaque fois, mais bon, chaque fois que les gens auxquels j’explique, dans l’art, ils me disent : Mais bon, si on t’appelle KXB7, ça va faire bizarre. On a déjà commencé à t’appeler Karl Beaudelere, si on change encore de nom, les gens vont commencer à se perdre.

V.C. : (rires) Mais non ! Pourquoi pas ? KXB7, moi, je veux bien vous appeler comme ça.

KXB7 : Mais non, parce que KXB7, c’est le nom de l’artiste masqué, c’est le papillon qui est sorti.

V.C : Donc, avant, il y avait une chenille !

KXB7 : C’est ça ! Une chenille Karl Beaudelere.

V.C. : (rire) Oui, c’est là que je vous dis que vous avez de l’humour (rires). Vous savez qu’on a des points communs, on m’a taxée, comme vous, de douée de dyslexie, et un jour j’ai écrit au tableau, en public, Beaudelaire, avec un e qui ne devrait pas s’y trouver… Moi aussi, j’écrivais que c’était beau, Baudelaire.

KXB7 : Chose impressionnante que je n’ai jamais dite, tout d’un coup, ça me vient : Charles Baudelaire, quand j’avais douze ans, c’était un livre de poche qu’il y avait sur le bureau de mon frère, qui avait 5 ans de plus que moi. Et sur ce livre de poche, il y avait la photo de Charles Baudelaire. C’est ça qui m’a frappé. Je n’ai jamais ouvert le livre pendant très très longtemps. Pendant plus de huit ans, je n’ai jamais ouvert le livre. Il aura fallu attendre que j’aie plus de vingt ans pour ouvrir un livre, et pour ouvrir Les Fleurs du mal. Il aura fallu attendre plus de dix ans après la vision de ce livre de poche, et Charles Baudelaire, pour l’ouvrir. Et chose étonnante, ça a été pareil avec Salvador Dali. Salvador Dali, je l’ai vu à la télé, c’est les premières images que j’aie d’un artiste. Après j’ai évolué, j’ai préféré Van Gogh, mais après tout, Salvador Dali est le premier artiste que j’aie aimé quand j’étais adolescent, sans savoir que c’était un artiste, mais c’en ayant vu la publicité pour le chocolat Lanvin à la télé que je l’ai vu à la télé, sans savoir que c’était un artiste.

V.C. : (rire) Le chocolat comment ?

KXB7 : Le chocolat Lanvin. Je suis fou du chocolat Lanvin (rire). Il y avait une pub qui disait (il imite la voix de Dali) : Je suis fou du chocolat Lanvin1 (rires) Chose étonnante, ça a été la même chose avec Charles Baudelaire qu’avec Salvador Dali. Charles Baudelaire, en fait, je n’ai rien lu pendant dix ans, mais j’ai juste vu l’image de Charles Baudelaire, et ça m’a frappé. Et Salvador Dali, pareil !

V.C. : Oui, vous vous êtes fait des identifications, on pourrait dire des pères de substitution…

KXB7 : Oui, avec Kiss, aussi, le groupe, ceux qui sont maquillés. Malheureusement, avec Daft Punk aussi. Je ne sais pas ce que ça veut dire, peut-être que je suis toujours un enfant, mais Daft Punk m’a fait le même effet quand je les écoute.

V.C. : Et pourquoi vous dites que vous êtes toujours un enfant ? Nous sommes en train de travailler la question de …

KXB7 : Parce que des fois, il y a mon ami historien Michel Thévoz qui me dit : Karl, des fois, je te sens comme un enfant. Alors je me dis que des fois, je suis un peu prépubère par rapport à tout ce que j’ai vécu. Je me protège en étant comme ça, peut-être. C’est une protection.

V.C. : Pour moi, ancienne prof de latin, un enfant, c’était celui qui n’était pas entré dans la parole articulée à l’autre. La dyslexie, on pourrait dire que c’est un mode de dire Je ne lis pas comme vous, je ne parle pas comme vous.

KXB7 : Malheureusement, c’est peut-être vrai ! Malheureusement !

V.C. : On dit ça des gens qui ne sont pas tout à fait dans les clous : on infantilise beaucoup les gens.

KXB7 : Ah oui ! C’est ça. Je pense que son intellect a du mal à percevoir l’homme. Il a très bien perçu l’artiste, mais il a du mal avec l’homme.

V.C. : Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

KXB7 : Par rapport à ce que vous avez dit, et ce que j’ai dit.

V.C. : C’est ça : il reconnaît l’artiste, c’est ça qui l’intéresse…

KXB7 : Oui, je fais très pubère…

V.C. : … je pense que vous êtes très pubère, mais lui, ce qui l’intéresse, c’est l’artiste dans son côté brut.

KXB7 : Et je ne le suis pas, pas du tout. Je ne suis à classifier dans aucune caste. Ça, c’est Françoise Monnin, et même Michel Thévoz l’a dit : Karl, tu n’es de nulle part, et donc forcément de partout.

V.C. : Et donc même pas de la caste des incasables !

KXB7 : Des inclassables ? ou des incasables aussi. Mais non, effectivement. Moi, je suis de nulle part.

V.C : Un extra-terrestre ?

KXB7 : Oui, c’est ce que j’ai toujours dit à mes parents, d’ailleurs. Je suis un extraterrestre.

V.C : Et ils répondaient comment, eux ?

KXB7 : Ils ne répondaient pas.

V.C. : On peut imaginer que ce n’est pas facile pour des parents d’accueillir un extraterrestre. Comment on fait ?

KXB7 : Je suppose, mais bon, c’est moi qui avais du mal avec eux, parce qu’ils se disputaient du matin au soir, et moi, ça m’a affecté toute ma vie. J’étais terrifié par mon père, terrifié par les engueulades qu’ils avaient. Et ça, ça me perturbait tous les jours. Je n’avais jamais envie d’être là, et dehors, je n’avais pas envie d’y être non plus. Je ne savais pas où je devais être.

V.C : Vous n’avez pas trouvé de lieu.

KXB7 : Non !

V.C. : Mais vous avez trouvé maintenant une formule, ce que vous appelez votre gribouillis, ce que je considère aussi comme une forme d’humour.

KXB7 : Oui, parce que, sans vouloir être au-dessus des autres, je pense que je n’ai pas vu quelque chose de pur dans tous les gribouillages des artistes que j’ai vus. Ce n’est souvent que du graphisme, tandis que moi, c’est quelque chose de naturel. Vous voyez ce que je veux dire ? Il y a beaucoup d’artistes très connus, ainsi Hom Nguyen2, un des artistes contemporains français très connus, ses gribouillages, c’est du graphisme, il n’y a rien de pur là-dedans. Techniquement, ça pourrait sortir des Beaux-Arts, ce qu’il fait.

V.C. : Vous cherchez la pureté.

KXB7 : J’essaie d’être pur dans ma technique, et dans ce qui doit en sortir.

V.C. : Et donc, l’idée du graphisme et du graffito, ça tourne autour de l’idée d’écrire. Le laboratoire du CIEN, dont je suis responsable en Suisse, a pour titre, depuis des années, et je n’en sors pas, Ce qui de l’inconscient s’écrit. Je crois que c’est la leçon que vous m’avez donnée : il y a chez vous ce qui sort, quelque chose qui s’écrit, on ne sait pas comment…

KXB7 : Moi, je ne sais pas non plus…

V.C. : Et donc vous acceptez de faire avec ce Je ne sais pas.

KXB7 : Oui, j’accepte de faire avec ce Je ne sais pas. Et je l’accepte parce qu’il en sort quelque chose.

V.C. : Vous commencez souvent par l’œil gauche, n’est-ce pas ?

KXB7 : Oui je commence souvent par le côté gauche, oui, pratiquement à cent pour cent je commence par l’œil gauche, oui ! Quand je fais des autoportraits, oui, je commence par l’oeil gauche.

V.C. : C’est votre autoportrait en grandeur mondiale à Lausanne… en fait, c’est vous qui m’avez regardée en premier. Parce que vous m’avez saisie…

KXB7 : Oui, je vous ai défigurée.

V.C. : Par cette figure, par ce visage, ce portrait. Je trouve quand même formidable que vous ne vous montriez pas avec votre visage.

KXB7 : Oui, c’est moi qui retiens la personne, peut-être !

V.C. : Est-ce que c’est nouveau dans le monde ? Aujourd’hui, après deux ans de COVID, vous êtes presque un Witz à vous tout seul !

KXB7 : Moi, je suis… je dois être le premier à m’être masqué, hein ! ça date de 2011, moi, j’ai été masqué avant tout le monde !

V.C. : (rires) Vous étiez masqué avant le COVID ! Mais vous masquiez plus les yeux que la bouche.

KXB7 : Oui, au début, les yeux, je les cachais dans mon masque, et malheureusement, à un moment donné, ça m’irritait les yeux, le tissu, malgré tout, transparent, ça m’irritait les yeux. Et à un moment donné, j’ai mis des lunettes miroir, un peu comme des lunettes de ski, des lunettes de soleil. J’étais trop dans un sas, donc à un moment donné, j’ai fait une ouverture sur les yeux, et c’est comme ça qu’on a vu mes yeux, mais au début, on ne voyait pas mes yeux.

V.C. : C’est un fait que vous ouvrez un peu sur la bouche, ça vous permet de respirer, vous avez même parfois masqué la bouche.

KXB7 : Oui, là, la bouche est masquée.

V.C. : Et puis, vous êtes gaucher. M. Thévoz a fait un jeu de mot à ce propos, gaucher, du latin sinister, vous disant presque sinistré. Moi qui suis droitière, j’ai toujours été intriguée par les gauchers, l’altérité m’intéresse. Mais pour vous, les gens comme M. Thévoz, ou comme moi, les gens plutôt normés, vous font-ils peur ?

KXB7 : Moi, vous savez, depuis tout petit, ça m’a fait peur. Parce que comme j’étais gaucher, à l’école primaire, on m’a empêché, pour me faire écrire de la main droite, on me mettait une main dans le dos…

V.C. : Mais ils font encore ça ? Je pense que maintenant, on ne fait plus…

KXB7 : Oui ! Et à un moment donné, quand ils ont vu que ça ne marchait pas, je suis retourné à la main gauche, mais je faisais, comme on dit, des pâtés (rire).

V.C. : Oui, mais cette main, la gauche, maintenant, elle se venge ?

KXB7 : Peut-être, mais je ne suis plus dans la vengeance…

V.C. : Vous non, mais votre main ?

KXB7 : En ce moment, elle a mal. Là, j’ai une tendinite à l’épaule et au bras.

V.C. : Votre corps se rappelle à vous. Parce que quand je vous ai vu dessiner dans la vidéo qu’on peut voir au musée3, j’ai été saisie par la force et la rapidité du mouvement, et je me suis dit que ça devait vous causer des douleurs.

KXB7 : Oui, et quand je fais des performances comme ça, je me fais énormément mal, après, j’ai mal, je suis fatigué.

V.C. : Et vous faites quoi alors, vous acceptez d’arrêter, vous faites avec l’autre main ?

KXB7 : On m’a dit qu’il fallait que je me repose, alors je me repose, j’essaie de me reposer le plus longtemps possible. Mais là, ça fait des mois et des mois que j’ai la tendinite à l’épaule. Mais bon, je sais que c’est la tendinite à l’épaule, et qu’en plus je l’ai au bras gauche, alors je ne peux rien y faire. Donc je suis obligé de continuer à travailler, j’essaie de travailler le plus doucement possible, pour ne pas me faire trop mal. Mais je continue à bosser, je ne peux pas. Mais il y a quatre ans, j’ai eu la tendinite à l’épaule droite. Ce qui est rigolo, c’est que, au début, quand en 2008.2009, j’ai commencé à avoir des tendinites, mais seulement au bras, chose incroyable, d’abord au bras droit, moi qui suis gaucher. Mon kiné m’a dit : Mais comment ça se fait ? Ben voilà, après, je l’ai eue au bras gauche, et puis c’est devenu récurrent, et puis, il y a quatre ans, ça a été l’épaule, la droite, et pendant plus d’un an, j’ai eu un bras complètement mort. Et là, par chance, là où ça me fait mal, je sais que c’est une tendinite, et là j’en ai une double, légère, mais qui me fait mal quand même, une tendinite à l’épaule. Cela fait des mois et des mois, j’espère que ça va s’arrêter.

V.C. : C’est important d’écouter ce que dit votre corps. Vous parlez souvent de souffrance, mais c’est la première fois que j’entends parler de vos tendinites, en tout cas je ne l’ai lu nulle part.

KXB7 : J’essaie de ne pas en parler. Les gens qui me connaissent le savent. Je ne veux pas exposer mes douleurs.

V.C. : Vous n’êtes pas quelqu’un qui aime exposer ses douleurs.

KXB7 : Ouh là, malheureusement, je les ai beaucoup déjà exposées, mes douleurs. Et maintenant, j’ai bien compris qu’il faut arrêter de les exposer.

V.C. : Pensez-vous que vous avez exposé vos douleurs ou que vous les avez transcendées ? Parce que j’ai l’impression que vous allez au-delà.

KXB7 : Oui, je pense que je les ai transcendées, par le côté spirituel.

V.C. : C’est ça ! vous parlez aussi d’un rapport très particulier avec le monde, avec le spirituel. Ce qui m’a frappée, c’est votre rapport avec la beauté. Cette faute d’orthographe commune que nous partageons, écrivant Beau là où il y avait Bau, me plaît beaucoup.

KXB7 : C’est un peu ce que disait Baudelaire, il disait que la beauté était monstrueuse.

V.C. : N’est-elle pas le dernier masque devant l’horreur, devant le réel ? Vous n’avez pas simplement exposé vos souffrances, ce qui, au fond, n’intéresserait pas grand-monde, mais vous montrez un masque derrière lequel on ne peut pas aller, parce que, au-delà, c’est la mort. En ce sens, votre travail est très vivant, malgré tout.

KXB7 : Oui, mais vous savez, depuis 2010 que je fais des autoportraits, je ne voudrais pas mal parler de moi, mais je suis obligé : je n’ai eu que des critiques.

V.C. : Ah bon ?

KXB7 : Eh oui, et à Lyon aussi. Là où on m’a beaucoup critiqué, c’est là où je suis, à Lyon. Ce n’est pas sur les réseaux sociaux. On m’a critiqué avant que j’habite à Lyon. Là, on m’a critiqué ouvertement, en face de moi, pas sur les réseaux sociaux.

V.C. : La critique est la preuve qu’on vous voit, que vous existez. Comment la supportez-vous ?

KXB7 : J’étais en colère. Là, je ne le suis plus, mais il en reste encore, et je me bats pour qu’elle s’en aille. Il faut tout le temps travailler sur sa colère. Toute ma vie, ma colère n’a fait que monter. Déjà contre mes parents, contre ce que j’étais, je ressemblais à une fille, on me critiquait aussi parce que j’étais grand, je faisais une tête de plus que tout le monde. J’étais en colère à cause de mes parents, de tout ça, j’allais mal. À force, ça m’a mis beaucoup de souffrance. Et après, mon père s’est suicidé, ma mère est morte de la maladie d’Alzheimer, et après, cinq ans de divorce, j’ai tout perdu. Après, j’en avais marre de la vie, j’ai failli me tuer plusieurs fois, je suis toujours là. Et donc, à un moment donné, j’étais bougon, j’étais en colère. En plus de tout ça, récemment, je me suis séparé de la mère de mon fils, on a perdu un enfant, ça a été une catastrophe. Je suis descendu au plus profond du gouffre, aussi terrible que quand j’étais jeune. Heureusement, je m’en suis extirpé.

Là, j’ai fait un travail que je n’avais jamais fait sur moi. C’est pour ça que je suis comme ça maintenant. Je prends conscience de tout ça, mais les autoportraits sont venus avant. Depuis 2010. C’est depuis 2018 que j’ai fait un travail sur moi pour aller vraiment mieux. J’ai fait une introspection, pour voir tout ce qui s’était passé dans ma vie. Et j’ai fait ma bio, aussi, ce que Françoise Monnin, de la galerie Extension, m’avait dit de faire quand j’allais mal, et que j’étais avec ma compagne. Elle m’avait dit : Tu devrais écrire ta bio. Je n’y arrivais pas, c’était impossible, c’était trop de souffrance, de mettre les doigts sur cette souffrance pour écrire ma bio. Et j’ai été obligé de le faire pour la monographie, il y a deux ans.

V.C. : C’est remarquable. Je comprends maintenant pourquoi vous dites que ce travail artistique est une psychanalyse. Vous n’avez pas besoin de psychanalyse.

KXB7 : Non, franchement, je n’en ai pas besoin. Parce que des psychiatres et des psychologues, j’en ai vu. Et au dernier en date, j’ai dit : Je vais bien, je n’ai plus besoin de vous voir.

V.C. : Magnifique ! C’est d’ailleurs à ça que doit servir une psychanalyse, qu’on n’ait plus besoin de le voir, son psy !

KXB7 : Ben oui !

V.C. : Donc vous avez fait votre travail d’introspection, et ces lettres, j’ai trouvé formidables ces lettres où on n’arrive pas à lire ce que vous écrivez parce qu’elles sont recouvertes d’un autoportrait, la lettre à votre mère, à votre père, à votre sœur, à votre fils… Il n’y en a pas à votre femme ?

KXB7 : Eh non, parce que j’ai trois ex-femmes, entre guillemets.

V.C. : Oui, mais vous auriez pu en faire une à la femme 1, une à la femme 2, une à la femme3… Ça m’a surprise.

KXB7 : Oui, mais je ne voulais pas faire quelque chose de personnel. Ce ne sont plus ma famille. Ma famille reste mes enfants et ma famille. Eux…elles ne font plus partie de ma famille. Est-ce que vous voyez ce que je veux dire ? Eux resteront toujours ma famille, la famille de ma mère et la famille de mon père resteront toujours ma famille. Mes enfants resteront toujours ma famille. Mes trois ex-femmes avec qui j’ai eu un enfant ne sont pas ma famille.

V.C. : C’est donc comme ça que vous comprenez la famille. Vous n’avez jamais fait famille.

KXV7 : Ces trois femmes-là, je leur pardonne, quoi qu’elles aient fait, ou je m’excuse de ce que j’ai pu leur faire. Mais ce n’est plus ma famille.

V.C. : Donc la famille, pour vous, c’est celle dont vous êtes né, et c’est les enfants que vous avez…

KXB7 : engendrés…

V.C. : Oui, engendrés ! Mais les femmes, non, elles n’en font pas partie, c’est étonnant, ça !

KXB7 : Ben non, puisque je me suis séparé. Eh oui, je suis séparé. Il y a quelque chose d’intrinsèque là-dedans. Mes enfants, je ne suis pas séparé de mes enfants. Et de ma famille, je ne suis pas séparé, je ne pourrai jamais m’en séparer, c’est ma famille. Si je n’étais pas séparé de la mère de mon fils, ça serait ma famille, mais je n’en fais plus partie.

V.C. : D’accord ! C’est une vraie question pour moi, la famille. On l’écrit dans notre champ de différentes façons.

KXB7 : Ah, mais moi, ce n’est pas dans mon champ de l’écrire de différentes façons. Si je me mets avec quelqu’un d’autre, et que je suis en couple – là pour l’instant je suis célibataire -même si je n’ai pas d’enfant avec elle, ma femme, ce sera ma femme-ille (en séparant les syllabes).

V.C. : (Rires) Oui, c’est ça, c’est très joli. Ma femme, elle, sera ma famille !

KXB7 : Elle sera ma famille si je reste avec elle, des années, ou toute ma vie. Ce sera elle ma famille. Ou peut-être même, comme on dit, j’adopterai sa famille, et sa famille m’adoptera. Mais là, mes ex-femmes avec qui j’ai eu un enfant, donc ces trois ex-femmes, ce ne sont plus ma famille. Je ne vois nulle part où ça pourrait être ma famille. Je ne vois nulle part, nulle part.

V.C. : Et ça, vous ne pouvez pas le transmettre à vos enfants, puisqu’ils ont une famille, eux, dont leur mère aussi fait partie. C’est singulier à chacun, la famille.

KXB7 : Eh oui !

V.C. : Et votre famille artistique ?

KXB7 : Eh bien moi, je n’en ai pas. Je ne suis même pas adopté. Enfin si… Mais non, je ne suis pas adopté puisque je ne suis pas Art Brut. Si j’avais été Art Brut, entre guillemets, j’aurais été adopté. Mais là, je suis adopté dans une section, Neuve Invention. J’expose dans le Musée de l’Art brut, mais dans une salle en tant que section Neuve Invention. Ça, beaucoup de gens, la majeure partie des gens, ne comprennent rien, malheureusement.

V.C. : C’est une chose que vous avez discutée avec M. Thévoz ?

KXB7 : Ouh la la ! avec tout le monde ! Tout le monde sait bien mes convictions.

V.C. : Vous tenez à ce qu’on sache que vous êtes un adopté.

KXB7 : Ah ça, ce n’est pas que je veuille me défaire d’eux, c’est que je ne suis pas eux.

V.C. : Ben non ! Vous ne pouvez pas faire partie d’un club qui…

KXB7 : Malgré tout, j’ai un amour profond pour l’art brut, parce que Jean Dubuffet a inventé, a réinventé la genèse de l’art. Qu’est-ce que l’art, un peu comme pour les aborigènes, les tribus etc… ? C’est un contact avec l’humanité, et les forces célestes. Voilà ce que c’est, l’art, et tout le monde se trompe.

V.C. : Vous, les forces célestes, vous pouvez en dire quelque chose ?

KXB7 : Les forces célestes, j’y suis malheureusement depuis que je vais mal. Tout est contact avec les forces célestes. Depuis que je me suis séparé de mes parents et que j’ai habité chez moi, ça a été mes premiers contacts avec ce genre de science occulte, voyance, numérologie, etc… La numérologie, ça entre aussi dans la fabrication de mon masque.

V.C. : Vous avez dit beaucoup de choses, mais j’ai une question encore : votre étonnement devant l’apparition dans le miroir. Qu’avez-vous vu ?

KXB7 : J’ai vu un extraterrestre, je vous enverrai la photo (c’est l’image qui accompagne cette conversation) de mon premier autoportrait. En fait, c’est un autoportrait au stylo à bille rouge, avec Notre Dame de la Garde en antenne sur la tête, comme un extraterrestre.

V.C. : Que vous êtes-vous dit ? C’est moi, ou c’est lui ?

KXB7 : C’est comme quand vous vous dites qu’il il y a quelque chose que vous voyez qui vous fait dire : Mais bien sûr, je suis un extraterrestre ! Vous voyez ? Vous trouvez quelque chose sur votre origine, ou de la famille perdue, ou de vos ancêtres etc… Ah ben oui, forcément, j’ai des traits de ce pays. Vous voyez ce que je veux dire ?

V.C. : Oui, je pense que vous avez trouvé le titre de notre conversation : Bien sûr, je suis un extraterrestre. Êtes-vous d’accord ?

KXB7 : Bien sûr, avec plaisir.

V.C. : Et c’est cette photo qui va accompagner notre conversation, je vous en remercie vraiment. Savez-vous que les Journées d’automne de l’ECF ont pour thème cette année Je suis ce que je dis ?

KXB7 : Eh oui, peut-être oui ! Il y a peut-être beaucoup de gens pour qui, inconsciemment, ce qu’ils disent, c’est peut-être vrai…

V.C. : Oui, mais on ne veut pas les croire.

KXB7 : C’est ça, ça, c’est l’être humain, c’est une protection.

V.C. : Et vous savez que Lacan, qui était comme vous très joueur avec les mots, écrivait les Trumains ?

KXB7 : Oui, c’est compliqué d’être humain.

 

Notes : 

  1. « Je suis fou du chocolat Lanvin – Dali », Youtube
  2. Hom Nguyen, www.artsper.com. 
  3. Un film remarquable de Philippe Lespinasse, prod. Le Chakhtar Lozanska, 20’