Colombo n’était pas un célibataire

Juan Pablo Lucchelli est psychiatre et psychanalyste, médecin chef à l’Hôpital du Jura bernois et membre de l’ECF et de l’AMP. Il est également docteur en psychanalyse et en philosophie, et l’auteur de nombreux ouvrages et articles, entre autres : La perversion, ou le compromis impossible (2005), Le transfert de Freud à Lacan (2009), Le malentendu des sexes (2011), Sexualités en travaux (2018), avec Jean-Claude Milner et Slavoj Zizek, Autisme, quelle place pour la psychanalyse ? (2018), Lacan, de Wallon à Kojève (2017) et, plus récemment, Introduction à l’objet a de Lacan (2020) et Ce que Lacan doit à Lévi-Strauss (2022).

Conversation avec Juan Pablo Luchelli, le 10 octobre 2022.

Violaine Clément : Juan Pablo Lucchelli, merci d’avoir accepté pour le blog de l’ASREEP-NLS un entretien avec Olivier Clerc et moi-même. Olivier commence tout de suite par une question qu’il a envie de te poser depuis longtemps.

Olivier Clerc : La question concerne tes études à propos de Lacan : Lacan et Wallon, Lacan et Lévi Strauss. On fait ces rapprochements, on fait au fond payer à Lacan sa dette envers Lévi-Strauss quant au réel, symbolique et imaginaire – pour citer une triade célèbre. Est-ce qu’il n’y aurait pas un risque de ramener Lacan à un penseur comme les autres en faisant ces comparaisons, alors que lorsqu’on est enthousiaste de ce que Lacan nous apporte, ce qui est important, c’est la nouveauté de ce que Lacan en a fait ?

Juan Pablo Lucchelli : Exactement. Je pense que le danger est de mettre Lacan dans une boîte. C’est exactement le contraire que j’ai fait. Si on fait l’historique, on s’aperçoit que Lacan, qui n’aimait pas citer, prend, par exemple dans Les Complexes familiaux, des points clés chez Wallon, sur lesquels il revient beaucoup plus tard. Ainsi cet exemple pris chez Wallon, à savoir le retournement de l’enfant vers l’adulte, moment qui n’est pas précisé dans le stade du miroir ; Lacan en parle dans le séminaire L’angoisse, et il dit que c’est « le plus pur moment » du stade du miroir, non pas seulement lorsque l’enfant se reconnaît dans la glace, mais surtout lorsqu’il tourne sa tête vers celui qui est à côté et qui l’assiste. La question qu’on doit se poser, c’est : si c’est le plus pur moment, pourquoi alors n’en a-t-il pas parlé en ’38 quand il a publié Le stade du miroir, puisque c’est l’essence même de ce moment ? Alors pour moi, mettre en rapport Lacan et Wallon, c’est une manière justement de faire ressortir, de faire revenir Lacan dans Lacan même, quelque chose d’essentiel plutôt que de dire : voilà ce qui manque à Lacan, etc … C’est tellement vrai que cette idée, accentuée chez Lacan, mais qui est présente chez d’autres, même avant Wallon, ce moment d’attente de l’assentiment de l’autre, c’est le cheval de bataille actuel de toutes les sciences cognitives depuis les années ’80 ’90, sauf que Lacan le dit quarante ans avant. Mon approche est productive quant à la liberté d’ouvrir, plutôt que de fermer. Ce qui va se confirmer quarante ans plus tard dans le champ de la santé mentale par des gens qui ne connaissent rien à la psychanalyse, voire qui détestent la psychanalyse, c’est tout ce que Lacan raconte dès cette époque, quarante ans auparavant. C’est ça qui m’intéresse de faire ressortir chez Lacan en le reliant à ces auteurs.

V.C. : Ton idée n’est donc pas tant de dire que Lacan n’a pas cité, mais qu’il n’avait pas forcément saisi tout ce qu’il avait pu trouver chez ces auteurs de très nouveau.

J.P.L. : Et c’est très impressionnant, effectivement, parce que si tu prends Wallon, c’est très intéressant : il parle beaucoup du « geste » de l’enfant qui se retourne comme de quelque chose d’essentiel, et d’autre part, il ne construit pas le stade du miroir. Il parle de l’enfant devant le miroir ; donc il pourrait construire le stade du miroir, mais il ne le fait pas : c’est Lacan qui le fait ! Donc, quelque part, Lacan construit quelque chose qui manque dans la structuration de l’enfant tel que Wallon la décrit, et il va encore plus loin, car il stipule que si ce mouvement manque, c’est la fin, en tout cas en ce qui concerne le monde symbolique : c’est un fait que Wallon n’a jamais songé à parler des situations où ce geste de retournement manque.

Mais pourquoi Lacan n’a-t-il pas cité dans le détail Wallon, qui insiste tellement sur le “geste” de l’enfant qui se retourne, mot qu’il met même en italique dans Les origines du caractère chez l’enfant ? Peut-être que l’une des hypothèses est celle d’une mésentente entre Lacan et Wallon lui-même. Parce que selon la méchante Roudinesco, Wallon a demandé à Lacan de réécrire son texte dix mille fois – on parlait tout à l’heure des corrections. On peut imaginer le Lacan jeune homme de trente-cinq ans en train d’écrire de manière créative, et l’autre, le professeur du Collège de France, qui lui dit que ce n’est pas comme ça qu’on écrit (rire). On peut imaginer ça, car c’est Wallon lui-même qui avait invité Lacan à écrire sur la famille dans l’Encyclopédie. L’autre explication que j’aimerais connaître, c’est pourquoi Lacan ne revient sur cette question du retournement de l’enfant que dans les années ’60 ? Là c’est une autre hypothèse que je ferais, c’est que Lacan recevait en contrôle des psychanalystes de l’enfance : les Lefort, etc. On en a une piste dans le séminaire L’angoisse, quand il dit que les cliniciens le détectent, l’observent. Il ne dit pas que c’est lui, mais que ce sont les cliniciens : on peut imaginer qu’il s’agit de ceux qui venaient en contrôle chez lui.

V.C. : Lacan ne cherche pas à nier ceux à qui il doit quelque chose, mais il ne veut pas se mettre sous la coupe de quelqu’un qui l’empêcherait d’aller au-delà. N’est-ce pas un peu comme ça que tu fonctionnes ?

J.P.L. : Écoute, pour moi, c’est important de trouver un certain goût à la recherche, au savoir, et à aller au-delà, vers ce qu’on peut appeler un plus-de-savoir, comme dirait Jean-Claude Milner. Pour être dans le plus-de-savoir, il faut aller un peu au-delà du kiosque, au-delà du fonds de commerce habituel, en cherchant des choses qui parfois dérangent quelques-uns.

V.C. : Ce n’est pas que tu veuilles déranger, mais tu veux un peu plus de saveur, un peu plus de goût.

J.P.L. : Exactement ! Et ce sont des choses qui s’installent malgré soi. Ce n’est pas que je veuille casser les pieds aux autres, mais tout d’un coup, je ne sais pas, tu découvres, par exemple, que dans Les Complexes familiaux, Lacan évoque les auteurs de l’École de Francfort. Je suis désolé, mais personne ne l’a découvert avant moi. Il fallait un Argentin pour découvrir ça (rire). Donc, je découvre qu’en ’38, il cite Horkheimer. Disons entre parenthèses que Lacan écrit Kant avec Sade dans les années 60 et que le rapport entre Kant et Sade est établi par Adorno et Horkheimer en 1947, ce même Horkheimer qu’il cite vingt ans auparavant. On peut se demander jusqu’à quel point il n’y a pas déjà une influence des Francfortois sur Lacan. Ce qui est encore plus génial, c’est que les Francfortois sont des hommes de gauche, et on ne peut pas dire que Lacan soit vraiment un homme de gauche … !

O.C. : C’est savoureux !

V.C. : Et ça t’amuse. Parce que quand on nous demande quelle joie nous trouvons à notre travail, il faut bien en trouver un peu …

J.P.L. : … parce que sinon, on est cuits ! C’est ça qui est génial. Et quand je faisais toutes ces recherches, je me sentais comme le lieutenant Colombo : il dit une fois : « Ce qui est génial dans cette vie, c’est que tous les jours, on apprend quelque chose de nouveau ! Tous les jours, on trouve un truc (rire).

V.C. : Colombo sait déjà, ou plutôt nous, les spectateurs, nous savons déjà qui a commis le crime.

J.P.L. : Exactement ! Mais encore faut-il qu’il le démontre ! C’est ça, la question.

V.C. : C’est un peu ton truc, à toi ! Tu serais mathématicien que ça ne m’étonnerait pas.

J.P.L. : Oui oui, c’est très bien, ça !

O.C. : Ce serait, pour le dire autrement, la question de la rigueur.

J.P.L. : Oui, mais à la façon du détective ; un peu comme dans La Lettre volée : plus détective que le détective ! Dupin, il est dupe, donc il ne voit pas que la lettre [est là, sous ses yeux] … C’est un peu dans cette idée-là que je m’amuse pas mal, et ça me permet d’être créatif, quoi !

V.C. : C’est ça ! Le psychanalyste crée la psychanalyse à chaque rencontre avec un analysant. Mais toi, tu fais plus que ça. Actuellement, tu travailles en Suisse, tu es donc un Argentin qui vit en Suisse. Explique-nous un peu comment ça t’est arrivé ; parce que le blog s’adresse en premier à nos lecteurs, aux membres de l’ASREEP-NLS.

J.P.L. : Comme tu le sais, je suis arrivé en Suisse il y a quelques années, dans les années 2000. Ça a été une rencontre très intéressante avec quelques Suisses, vous-mêmes, par exemple. Il a fallu à un moment que je revienne sur Paris, pendant une quinzaine d’années. Parfois je le regrette, mais finalement, je pense que tout compte fait, ça a été des années très productives. Maintenant, je suis de retour en Suisse à l’hôpital, comme médecin chef. C’est assez plaisant, et tout-à-fait compatible avec le lacanisme que j’ai appris pendant quelques décennies.

V.C. : Tu dis “lacanisme”, les mots en -isme n’ont pas bonne presse !

J.P.L. : On a l’idée que la psychanalyse doit faire avec le discours du moment, de l’époque, de la géographie dans laquelle on vit. Je parle là de l’hôpital psychiatrique. Je pense que c’est important d’être là et de pouvoir faire entendre autre chose que de la clinique réduite à des variables comportementales ou à de la biologie acéphale.

V.C. : Penses-tu alors que ce soit possible d’être un psychanalyste lacanien dans un hôpital psychiatrique en Suisse ?

J.P.L. : Bon, on peut même se demander si c’est possible d’être psychiatre tout court ! La question s’est posée à un moment donné : comment quelqu’un peut-il être psychiatre ? Je pense que si on cultive l’ignorance et la méconnaissance, par exemple dans les neurosciences, on est mal barré. Je pense que la question est d’être dans la connaissance de ce qui se passe, parce qu’il y a des choses passionnantes, sans pour autant trahir l’esprit même de la psychanalyse qui, quelque part, va à l’encontre des cases déjà préparées et qui au contraire, va dans le sens même des rencontres futures qui peuvent être créatrices. Comme je le disais, dans le sens de celles qui peuvent se produire entre la psychanalyse, Lacan, et n’importe quel autre champ, la psychiatrie, les neurosciences, etc… Je pense qu’il y a un chapitre un tout petit peu vide dans l’École de la Cause Freudienne : il faudrait parler aussi de la psychiatrie actuelle, de ce qu’elle devient. Je pense qu’il y a là un travail à faire.

V.C. : Oui, parce qu’en fait, je crois que c’est Lacan qui disait déjà que la psychanalyse était l’avenir de la psychiatrie. Il semble qu’ici, on ne voit pas encore l’avenir de la psychiatrie. Ici, la psychanalyse a encore peu de place dans le champ de la psychiatrie.

J.P.L. : Je pense que la question de l’avenir de la psychiatrie se pose vraiment. Cela concerne les psychiatres eux-mêmes, qui devraient se poser la question. On ne sait pas trop vers où on va. Et comme vous savez, le DSM est un peu has been, même si tout le monde s’y réfère. Et ce qui arrive à l’horizon, c’est un nouveau programme, qui s’appelle pour l’instant RDoC, dont on ne sait pas trop de quoi il est fait. C’est un assemblage, une découverte, qui se passe toutes les semaines, mais on ne sait pas trop vers où on va. Il manque un peu de vision, d’horizon.

V.C. : Si faire avec l’inconscient, c’est faire avec ce qui est à venir, ce n’est pas tout à fait la même chose que de faire un catalogue de tout ce qu’on devrait savoir, mais qu’on ne sait pas encore.

J.P.L. : Absolument ! Et c’est un peu le cas ! Donc je trouve que la psychanalyse pourrait s’enrichir des débats actuels, et aussi enrichir la psychiatrie. C’est un chapitre qui reste à écrire.

V.C. : On attend que tu l’écrives. Parce que tu as travaillé sur une quantité de domaines. On va inscrire ta bibliographie. Mais actuellement, qu’est-ce qui t’occupe ?

J.P.L. : Je dois dire que je suis assez parcouru par la question, si on m’invite à parler de ça, de l’autisme. C’est un domaine intéressant, sur lequel il y a encore beaucoup de choses à dire. Le débat reste très ouvert sur l’approche, qu’il faut, des autistes, de la naissance à la mort, donc pas seulement chez les enfants. Là, je trouve qu’il y a un terrain fondamental. L’autre, c’est celui des psychoses, où je trouve qu’il y a aussi beaucoup de choses à explorer à partir de la psychanalyse. Il y a de plus en plus cette approche, très à la mode, de détection précoce des psychoses, par exemple, ou bien le concept de “psychose atténuée”. Je pense que personne ici ne sait trop ce que ça veut dire. Ça recouvre pas mal d’explorations et de recherches que nous avons faites dans la psychanalyse depuis trente ans.

V.C. : Ce que tu appelles “psychose atténuée”, est-ce que ça aurait quelque chose à voir avec ce qu’on appelle psychose sous transfert ?

J.P.L. : Ça aurait quelque chose à voir avec ce qu’on appelle la psychose voilée, ou la psychose ordinaire, dans laquelle les choses ne se traduisent pas en termes de psychose classique, avec hallucinations et délire, etc… C’est autre chose, mais c’est très intéressant parce qu’en même temps, ça occupe le devant de la scène, et on ne sait pas trop quoi faire. Un type très connu en Australie, Patrick McGorry, dit que seul le 30% des gens rencontrés développent une psychose. Mais alors, que se passe-t-il avec le 70% qui restent ? Ils vont bien ? On ne sait pas ce qui se passe justement (rire). Moi, c’est ce 70% de patients qui passent entre les gouttes qui m’interroge. Que se passe-t-il pour eux ?

V.C. : Ils se marient …

J.P.L. : … ils ont des déprimes, ils deviennent toxicomanes… C’est assez fondamental, parce que là, la psychanalyse est assez opérante. Parce que je crois que la psychanalyse opère.

V.C. : La psychanalyse opère, c’est ce qu’on voit régulièrement dans les sections cliniques. Je voudrais t’interroger sur quelque chose qui m’intrigue depuis longtemps. Il n’y a pas en Suisse une véritable section clinique1. Est-ce une question politique ? Comment pourrais-tu l’expliquer, toi ?

J.P.L. : Bon, je suis nouveau venu en Suisse depuis même pas trois ans, donc je ne pourrais pas trop me prononcer sur ce qui s’y fait. Je sais ce que j’ai fait par le passé, avec François Ansermet en particulier, à Lausanne, puis à Genève. Quelque chose avait pris, quelque chose d’assez respectable. Que cela existe à nouveau, actuellement, ce serait quelque chose à mettre en chantier.

V.C. : Serais-tu intéressé à faire quelque chose de cet ordre-là, toi, dans l’hôpital où tu travailles ? Pourrais-tu y faire des présentations de malades ?

J.P.L. : Ça se pourrait.

V.C. : Ça se pourrait ? En tout cas, on pourrait se déplacer, parce qu’en Suisse, on a l’habitude d’inventer vingt-six fois l’eau chaude. Donc dans chaque canton, on invente de nouveau que ce soit la pédagogie … pourquoi pas inventer la psychiatrie, avec la psychanalyse ? Donc, inspecteur Colombo, aurais-tu quelque chose que tu aurais, toi, envie de nous dire, aussi bien aux collègues de l’ASREEP-NLS qu’à ceux de la NLS ou de l’AMP ?

J.P.L. : Oui, je le répète, l’intérêt fondamental est de ne pas se cantonner aux chansons qu’on connaît par cœur, de ne pas se les répéter entre nous, de répéter ce que nous entendons que l’autre dit, mais au contraire, d’ouvrir la voie vers de nouvelles frontières. Je ne dis pas que cela ne se fait pas, mais cela pourrait se faire encore plus. Ainsi, par rapport à l’autisme, moi je fais mon truc – Maleval en fait aussi beaucoup de son côté, comme chacun sait – mais aussi par rapport à la psychiatrie : pourquoi n’y aurait-il pas un champ de recherche entre psychanalyse et psychiatrie actuelle ? Je ne parle pas de Clérambault ou des choses du genre, mais de ce qui se passe maintenant, aujourd’hui, la semaine prochaine : quels sont les débats, qu’est-ce qui est en discussion ? Je pense qu’on devrait être au rendez-vous.

V.C. : Si on doit être au rendez-vous, on a l’impression qu’il faudrait que quelqu’un organise ce rendez-vous. Plus je t’entends – j’ai entendu que tu avais fait une conférence en anglais aux étudiants en psychiatrie à Fribourg -, plus je m’interroge sur ce qui t’a amené, toi, à traverser les frontières et t’a aussi amené à apprendre autant de langues, et à faire résonner quelque chose d’un pays à l’autre. Ce thème des frontières est un des thèmes favoris d’Olivier, qui prédit qu’il n’y aura bientôt plus de frontières. Ce n’est pas sûr que ça ira mieux, quand on voit ce qui se passe tout près de chez nous …

O.C. : C’est une question peut-être un peu marginale par rapport à ce que disait Juan Pablo … Je pense que les frontières vont tomber, pas mal de gens ont écrit là-dessus. Les frontières, c’est une sorte de semblant. L’inquiétude, c’est que ce sont les multinationales qui commencent à gouverner et c’est à ça qu’il faut faire attention, plus qu’au paranoïaque Poutine, ou aux tyrans, aux dictateurs…

J.P.L. : Mais tu sais que moins il y aura de frontières, plus il y aura besoin d’en mettre. C’est un peu ce qu’on voit fans les mouvements nationalistes, récemment en Italie, par exemple.

O.C. : C’est exactement ça la question. Le fait que les frontières pourraient bien être en train de disparaître, ça angoisse, ça touche quelque chose de ce qu’on appelle avec beaucoup de complaisance aujourd’hui l’“identité”.

J.P.L. : Exactement !

O.C. : On “viendra” d’où, alors ? Peut-être qu’on viendra d’une région, je ne sais pas… C’est pour moi un problème un peu marginal.

V.C. : Y a-t-il des marges ? La question des limites, dans la psychiatrie, d’après ce que tu nous dis, Juan Pablo, c’est aussi une question de limites. Tu nous dis que tu t’intéresses à l’autisme : il y a encore des psychanalystes qui pensent que ça n’existe pas, ou plutôt, que l’autisme et la psychose, c’est la même chose. On est d’accord ?

J.P.L. : Oui, c’est un vieux débat. Je disais, un peu en plaisantant, à mes collègues : même si vous le pensez, ne le dites pas ! Parce que vraiment, c’est se tirer une balle dans le pied. C’est là qu’on nous attend pour dire : et voilà, c’est reparti, ça y est, comme d’habitude, ils psychiatrisent. C’est ça le pire : que comme psychanalystes, on nous accuse de psychiatriser la maladie mentale, alors que justement, c’est le contraire qui se passe ! Donc, je pense qu’il faut être astucieux, et savoir un peu ce que l’on dit. Et parfois, être un peu politique, être dans la com, comme on dit aujourd’hui, et ne pas dire des choses qui nous feraient aller au casse-pipe. Indépendamment du fait que de toute manière, la nature même de l’autisme est différente de la psychose, sans faire de hiérarchie, à part parfois il vaut mieux être psychotique, parce qu’on est beaucoup plus dans l’autre, et le social, que dans l’autisme. Donc, ce n’est pas une question morale, de qu’est-ce qui est mieux, mais c’est tellement différent comme nature qu’il faut être assez ignorant pour penser que c’est une seule et même chose. Cela étant, il faut savoir de quoi on parle quand on parle d’autisme. Un spécialiste de l’autisme, qui n’est pas psychanalyste du tout, que Maleval aime beaucoup, et moi aussi, Mottron, dit qu’il y a au moins deux types d’autisme : l’autisme prototypique, à la Kanner, le vrai autisme, et l’autisme syndromique, où l’autisme est le symptôme parmi d’autres symptômes d’une maladie plus génétique. Et donc, si tu confonds les deux, tu ne comprends plus rien ! Parce que justement, tu vas attendre que le pauvre gamin avec un autisme syndromique dû à une autre maladie, avec un retard mental, quelque chose comme ça, devienne d’une créativité autistique, ce qui ne va jamais arriver. Il y a des finesses dans lesquelles il faut aussi essayer d’être le plus au clair possible.

V.C. : Au clair, c’est Olivier Clerc, mais toi, tu es plutôt Colombo. Et depuis que tu l’as dit, j’ai une question qui se promène dans ma tête. Madame Colombo est extrêmement importante dans l’histoire. Chez toi, ce serait qui, Madame Colombo ?

J.P.L. : Dans Colombo, l’important, à mon avis, c’est que quand il dit toute le temps « ma femme », ou quand madame Colombo est là, la caméra ne tombe jamais sur elle. Parce que justement, elle est allée aux toilettes… (rire).

V.C. : … elle fait la vaisselle (rire) !

J.P.L. : Exactement ! Et donc c’est très intéressant, et je pense que l’important, c’est de dire que Colombo n’était pas un célibataire. Autrement dit, avec Lacan, qu’il n’est pas marié à la vérité. Et que la vérité comme telle reste à explorer.

V.C. : Excellent ! Es-tu d’accord qu’on s’arrête là ?

J.P.L. : Oui !

 

Note:

  1. « Antenne Clinique: Comment s’orienter dans la clinique 2017-2018 » (asreep.com).