Conversation avec Luisella Brusa

Luisella Brusa, psychanalyste, membre AME de l’École lacanienne de psychanalyse et de l’AMP, association mondiale de psychanalyse, enseignante à l’Institut freudien et présidente de ALIA-Association pour l’étude et le traitement du malaise psychique féminin (Milan), directrice du CPCT de Milan (Ce.cli).

Conversation du 20 décembre 2020 par Violaine Clément.

Violaine Clément : Merci chère Luisella Brusa d’avoir accepté de prendre ce temps pour une conversation pour notre blog. L’idée de ces conversations est née, un peu après Rete Lacan, du désir d’entendre et de collaborer avec quelques autres analystes dans cette période, comme un des effets secondaires du COVID. Nous avons appelé ce blog le virus de la psychanalyse. Vous qui avez beaucoup travaillé la question des épidémies, que pourriez-vous nous dire à l’heure où l’Italie est de nouveau en train de fermer sévèrement, de ce que la psychanalyse pourrait apporter, comme science sui generis, face à un événement si impressionnant ?

Luisella Brusa : La question est énorme, j’ai du mal à répondre… La question de l’épidémie nous a surpris, même si nous, psychanalystes, étions bien placés pour entrevoir que les choses changeaient, depuis longtemps, dans ce que Lacan appelait le lien social. Dans ma lecture des questions que l’épidémie nous a posées, j’ai saisi la coupure qui suit des indications de Lacan concernant les mutations du lien social dans les dernières décennies, en particulier notre rapport avec la science. Je vous donne un exemple : le rapport avec la science a beaucoup changé, depuis les années ’90, en ce qui regarde la prévention. Nous sommes entrés dans une époque dans laquelle nous sommes déjà habitués à l’idée qu’il faut prévenir. Prévenir, c’est mieux que soigner… Il y a une difficulté de la société tout entière à affronter cette épidémie parce qu’il y a des discours, c’est le mot, des discours communs, que nous partageons, qui nous ont déjà façonnés, moulés dans une certaine idée, qu’il faut tout faire pour prévenir… Je dis ça parce que, dans le contexte de l’épidémie, c’est devenu pour beaucoup de gens, pour beaucoup d’analysants, de patients, quelque chose d’invasif, de sans limite. Alors je pense que l’idée de la prévention, avec la pandémie, est entrée dans un sans limite, ce qui crée beaucoup de problèmes.

VC : Le mot prévention m’a toujours beaucoup dérangée, dans mon travail auprès des jeunes : cette imposition de prévention servait à leur indiquer vers quoi se diriger, plutôt que l’inverse. Je préférais la postvention, mais ça m’a valu quelques problèmes avec les discours courants…

LB : Oui, c’est ça. Dans le champ psy, le nôtre, la prévention a toujours montré la problématique profonde du concept-même : prévenir, ça veut dire, dans le champ psy, le diagnostic précoce. Ça veut dire des tests obligatoires pour tous les enfants qui entrent à l’école, dès l’enfance. Ça veut dire les suivre avec des tests périodiques, pour vérifier ceux qui entrent dans le cadre d’une préoccupation, ça veut dire dépister ceux qu’il faut traiter pour prévenir une « maladie ». C’était déjà là. En tant que psychanalystes, nous sommes privilégiés pour savoir le danger qu’il y a dans cette façon de voir le sujet, l’organisme aussi, en rapport avec la maladie. Nous savons que le discours courant entre très facilement dans un sans limite qui conduit ceux qui y sont soumis, mais aussi ceux qui sont chargés de donner des indications, vers une authentique folie. Je dis ça, pas seulement à partir de la position de la psychanalyse lacanienne, mais aussi à partir de ma pratique de huit-dix mois de pandémie.

VC : Vous le dites très justement, les psychanalystes sont aux premières places pour savoir, mais ça ne veut pas dire qu’ils soient hors de ce discours. La question est donc : comment les psychanalystes peuvent-ils faire entendre quelque chose de ça, qu’on ne veut pas savoir ? C’est très rare qu’on aille chercher un psychanalyste pour qu’il en dise quelque chose. Vous avez aussi beaucoup interrogé la transmission de la psychanalyse, avec son objet, le psychanalyste, qui en est le produit. Aujourd’hui, comment se tenir à la hauteur de la subjectivité de l’époque ? (Rires) Pas facile, hein ?

LB : Oui, je pense que c’est très difficile. Je pense qu’on ne peut pas le faire tout seul, c’est pour ça que nous avons des Écoles, une Association Mondiale. Il y a en premier la nécessité de travailler avec les autres, et de bouger, chacun, à partir de sa propre singularité, dans l’approche du problème. Je pense que c’est ça qui nous permet d’attraper le problème, à différents niveaux, et selon différentes perspectives. Ce serait nécessaire, je pense, mais nous ne sommes pas toujours à la hauteur de ce que nous voudrions faire. Par exemple, la discussion avec les institutions, c’est quelque chose que nous avons laissé un peu de côté. Les institutions sont très occupées par la pandémie, elles doivent faire des choses qui sont vitales, ce n’est pas simple de faire qu’ils nous écoutent sur le sujet, évidemment. Mais sur le plan psy, on aurait beaucoup de choses à dire, de choses à proposer. Vous savez que je suis chargée de la direction du Ce.cli de Milan, qui, depuis le début de la pandémie, avec le Ce.cli de Rome, a proposé des offres de consultation qui se déroulent par voie télématique, et qui offrent du soutien à tous ceux qui sont en première ligne, ça veut dire les médecins, les infirmières et aussi les autres personnes qui travaillent à l’hôpital, et ceux qui souffrent d’angoisse, d’hypocondrie, d’isolement, de solitude à ce moment là.… Nous avons offert cet accueil, et depuis mars, nous travaillons comme ça. Mais je pense que cette petite expérience a une valeur qui aurait pu être proposée à d’autres institutions pour offrir, par exemple, un soutien particulier de psychanalystes, qui sont reconnus dans certaines associations. Et ça comporte, dès le moment où l’on offre quelque chose de très concret, la possibilité d’y adjoindre des mots, nos mots, pour dire ce qu’est, selon nous, cette pandémie pour les gens qui sont impactés, pas seulement par le virus, mais aussi par les mesures de contrainte, les mesures de prévention, dans lesquelles nous vivons depuis dix mois. Au niveau psychique, ces mesures sont aussi problématiques que le risque que comporte la maladie elle-même. Parmi les gens que je connais, peu ont vécu la maladie sous sa forme grave, la plupart ont eu une forme moyenne ou légère. Donc le problème n’était pas tant le virus que l’angoisse, qui elle, était énorme, même si le virus était la seule chose qu’on voulait contrôler.

VC : Ce qui m’a aussi intriguée, c’est que pendant cette période, les gens qui sont aux premières places dans la lutte directe contre la maladie ont pu déclarer, à l’inverse, que ça leur prend tout leur temps, et alors la cure s’interrompt. Il ne suffit pas de proposer l’offre pour créer de la demande. Les professionnels répondent-ils à votre offre ?

LB : Oui, les professionnels sont les plus mal à l’aise avec l’angoisse, qui domine la société entière, surtout dans les milieux hospitaliers. Ceux qui y travaillent demandent de parler de ça. Bien plus qu’accepter de parler, ils en ont un besoin vital. Je ne sais pas comment est la situation à Fribourg, mais à Milan, il y a eu un tsunami dans les hôpitaux. L’angoisse a atteint des niveaux insoutenables, et les praticiens ne trouvaient pas de points pivots dans leur lieu de travail pour diminuer un peu cette angoisse. Surtout parce qu’on a introduit des protocoles spécifiques, qui changeaient de mois en mois, des protocoles qui rendaient presque impossible leur travail habituel des médecins. Je pense par exemple aux psychiatres, qui travaillaient dans les hôpitaux, qui ne pouvaient plus travailler comme ils le faisaient avant. Et ils sont revenus à des manières de faire avec les patients qu’on n’utilisait plus depuis un siècle. Ils se trouvent très mal dans cette situation, et ils se servent des consultations avec nous pour se repérer dans ce monde du travail totalement changé.

VC : Ce n’était pas forcément des gens qui avaient un transfert à la psychanalyse, mais qui ont su attraper l’offre que vous leur avez faite. L’existence même des CPCT, qui datait d’avant la pandémie, a pu se réinventer grâce à la répétition de cette offre.

LB : Oui, je pense que c’était déjà dans la vocation de notre institution, du Ce.cli en l’occurrence, de se trouver dans le noyau social le plus brûlant. Au début, ça avait beaucoup à faire avec les problèmes économiques, la précarité, c’était à l’origine du projet, mais quand, dans le lien social et dans la société, sont arrivés d’autres problèmes, nouveaux, notre institution était déjà là pour faire offre de mots. Le problème est toujours une question de mots. Quels sont les mots avec lesquels on reformule l’offre. Et ce n’est pas toujours avec les mêmes mots.

VC : Cette question des mots est intéressante, et je pense en vous entendant à ce groupe israélien qui n’arrivait pas à ouvrir un centre, et qui a proposé une offre de nourriture. On est venu manger la soupe, et puis ils ont demandé des paroles, en échange de la soupe. Ce n’est pas si évident, pour qui n’a rien, de venir donner ses mots (maux). Ça demande du travail pour installer une confiance dans le fait que celui qui reçoit ces mots les considère comme précieux.

LB : Oui. Il faut savoir que la soupe, c’est important, mais que les mots aussi le sont.

VC : Oui, il faut le savoir, des deux côtés. Dans un cartel sur la précarité, j’interroge aussi la précarité des analystes. Comment les jeunes analystes arrivent-ils à vivre ?

LB : (rires) Voilà, il faudrait le leur demander, à eux. Je travaille au Ce.cli qui est composé de jeunes, surtout, et je travaille beaucoup dans la formation, à l’Institut Freudien, où j’ai toujours à faire avec des jeunes. Je peux dire que ceux qui sont curieux, ceux qui sont prêts à expérimenter ce que l’orientation psychanalytique leur transmet, dans n’importe quel champ, ceux-là n’ont pas trop de problèmes avec les nécessités de la vie. Ils trouvent de quoi vivre, dans des endroits divers évidemment, qui ne sont pas d’emblée le cabinet de psychanalyse. Mais il faut attendre. Moi aussi, j’ai attendu de nombreuses années, en travaillant dans les institutions publiques, avant de m’autoriser à travailler dans mon cabinet en tant que psychanalyste. C’est quelque chose qui n’est pas tout à fait nouveau en Italie. Déjà dans ma génération, il y avait la période dit della gavetta, ça veut dire une période de travail peu rémunéré avant de commencer la profession pour laquelle on est formé, diplômé. Il faut passer par cette période, plutôt longue, où on accepte ce qui vient. Dans ma génération, c’était comme ça et aujourd’hui, c’est peut-être plus fort, mais c’est toujours la même question: il faut attendre pour travailler en tant que psychothérapeute, psychanalyste. Et dans ce temps d’attente, il y a beaucoup de choses à faire, et beaucoup de choses à apprendre. Si on est en formation, n’importe quel boulot avec d’autres êtres humains est un champ dans lequel on peut se former, et poursuivre sa propre formation. Et ça amène au moment juste pour commencer à pratiquer en tant que psychanalyste. Ce n’est jamais un moment qu’on décide, volontairement. C’est quelque chose qui arrive, ça a à faire avec le réel de sa propre formation, avec ce qui arrive, ça veut dire que ce n’est pas quelque chose qu’on peut maîtriser. On ne peut pas dire: je vais ouvrir mon propre cabinet de psychanalyste! Ou: je ne peux pas le faire, parce qu’il y a trop de concurrence! Ça ne marche pas comme ça. Au moment donné les choses se mettent en place.

VC : Ça se fait avec le réel, mais pas sans le contrer. J’ai vu que vous avez travaillé dans le champ de la violence faite aux femmes. Il y a actuellement beaucoup de questions autour de la sexuation. Je viens de traduire le texte de Miquel Bassols sur l’inexistence de la différence des sexes dans l’inconscient. Il y a tout un champ sur lequel j’ai envie de vous entendre. Que pouvez-vous nous dire sur ce champ de la violence et des femmes, qui semble très importante dans cette période de pandémie…

LB : Hem, hem ! Ce sont toujours des questions très subtiles que vous posez. (Soupir… ) Je pense que la façon dont une psychanalyste lacanienne travaille dans ce champ de la violence faite aux femmes est très différent de la façon dont les autres y travaillent. J’ai travaillé beaucoup, dans les institutions publiques, avec les femmes, et aussi les enfants battus. Maintenant je travaille dans une institution que j’ai fondée avec des collègues de la SLP, une institution qui s’occupe seulement des malaises psychiques des femmes. Mais je peux dire, – et ça fait longtemps, ça fait près de trente ans que je travaille avec des problèmes de cet ordre – qu’on peut travailler si on ne met pas trop l’accent sur le fait que les femmes sont une catégorie qui serait plus exposée, ou qui serait plus facile à s’identifier comme victime dans les problèmes de violence. Toucher ce problème-là de façon analytique veut toujours dire interroger le sujet femme, sur ce que ça veut dire pour elle être femme, et ce que ça veut dire pour elle être homme, et sur ce que veut dire pour elle l’amour. Parce que la violence, dans ce champ-là, c’est toujours lié à ce qu’on appelle amour, à ce que les femmes appellent amour. Pour approcher ces trois questions, la psychanalyse lacanienne nous aide à les décomposer. On ne peut pas dire : les femmes, car elles ne sont pas toutes. On ne peut pas dire l’homme, car c’est un signifiant qui nous ne dit rien sur cet homme-là. Enfin: qu’est-ce que c’est que l’amour ? L’amour, c’est toujours quelque chose qui mène rapidement au sans limite. Pour les femmes et pour les partenaires. Je pense que la pandémie a mis en évidence quelque chose qui est présent dans les dynamiques du couple, quelque chose de la pulsion qui, hors confinement, peut se glisser au dehors, se répartir ailleurs. Quand on est confiné à la maison, le quantum pulsionnel reste là, bloqué. Ça dépend comment la pulsion de chacun est structurée et organisée avec le partenaire. Si c’est mal organisé, ça entraîne des problèmes dans le confinement, ça entraîne de la violence. Ce que nous apprend la psychanalyse lacanienne, c’est la déconstruction de ces catégories. La catégorie femme, la catégorie homme, mais aussi la catégorie violence, sur laquelle la SLP, a beaucoup travaillé ces dernières années, aussi bien sûr la violence des femmes, des adolescents, et il y a beaucoup de matériel pour expliquer aussi à ceux qui ne sont pas psychanalystes quels sont les problèmes concernés par ce qu’on appelle la violence.

VC : Donc la psychanalyse lacanienne nous fait nous rendre compte que c’est étonnant de s’entendre quand on se parle.

LB : On ne doit pas penser que c’est acquis.

VC : Pour beaucoup, s’il n’a pas de violence, il n’y a pas d’amour.

LB : C’est ça.

VC : Et si les mots sont liés comme ça, et si le sujet est toujours heureux, on peut devenir violent en voulant changer ça.

LB : Oui.

VC : Dans le nouveau vocabulaire, il y a un nouveau signifiant qui arrive, le signifiant trans, comme l’indique Bassols quand il dit que nous sommes tous trans dans l’inconscient. Donc le réel, biologique, social, donnerait quelques points d’accrochage… ça risque d’être drôle. Vous, qu’est-ce qui fait votre joie dans votre travail ?

LB : Pour moi, il y a de la joie tous les jours, et ça, c’est un effet de mon analyse. Ça n’était pas comme ça avant. Si c’est vrai que nous ne croyons pas à la happiness, c’est vrai aussi qu’une analyse conduite jusqu’au bout amène à changer son rapport au réel de la vie, ça mène à pouvoir accepter joyeusement ce qui arrive. Bon, ça ne veut pas dire qu’on ne souffre pas, qu’on n’est plus jamais triste ou affligé…, mais ça veut dire qu’on trouve des canaux de sublimation et une approche du réel qui rende possible de trouver quelque chose qui donne de la joie. Pour moi, c’est surtout de la recherche. Ce que je fais dans l’enseignement, dans les institutions, dans l’École, dans le cabinet, m’enthousiasme toujours parce que ça me donne la possibilité d’apprendre quelque chose, dans la confrontation avec le texte de Lacan, de Freud, … mais pas seulement le texte de la psychanalyse. L’étude et la recherche, c’est ce quelque chose qui donne de la lumière à ma vie, on peut dire (rires).

VC : On peut donc vous féliciter. J’ai trouvé une petite note que vous faites1 d’un travail de Hua Cai dont je ne savais pas si c’était un homme ou une femme, qui a travaillé sur une société sans patriarcat, sans père ni mari, un modèle différent du nôtre. Aujourd’hui où l’École est attaquée, par Beatriz Preciado et d’autres, il y aurait dans notre École quelque chose d’assez féminin. Que pourriez-vous nous dire encore à ce sujet ?

LB : Cette citation date d’assez longtemps, et je n’en ai pas le contexte. C’est peut-être l’occasion de dire quelque chose sur le patriarcat et les lacaniens. Je ne sais pas si ma position est partagée par les collègues, mais je pense qu’il n’y a pas trop à fêter cette fin du patriarcat. C’est quelque chose qui arrive depuis longtemps, c’était quelque chose de déjà là quand Freud a inventé la psychanalyse. On peut dire que la psychanalyse a été inventée par Freud exactement parce que le patriarcat était en train de tomber… Le chapeau du père de Freud, c’était ça… Oui, exactement. Donc la psychanalyse vit dans la perspective de la sortie du patriarcat. Mais je ne suis pas sûre que ce soit une chute qui arrive jusqu’à sa fin, parce que ce que nous voyons arriver, c’est quelque chose qui est plutôt de l’ordre de ce que Lacan appelait … du pire. Quand le discours capitaliste prend la place du discours du maître, quelque chose tourne trop vite, disait Lacan. C’est quelque chose qui rend un petit peu fou, peut-être pas seulement un petit peu. Nous sommes là-dedans, dans ce monde que Lacan a décrit avec cinquante ans d’anticipation, et je n’en suis pas très heureuse quand je vois les souffrances que cela déclenche. Je pense qu’il faut voir dans notre société quel genre de réactions va déployer cette dérive. Parce qu’il s’agit bien d’une dérive, terme que Lacan utilise.

VC : En anglais, c’est le drive, ce courant qui va nous emporter sans beaucoup de points de repère.

LB : C’est ça, exactement. On va voir quels sont les points de repère que la société va développer pour rendre tout ça supportable. Lacan nous a donné des indications comme la multiplication des ségrégations.

VC : Oui, et les camps de concentration.

LB : Exactement.

VC : Et la montée des religions, ce qu’on vérifie aujourd’hui. Et c’est ce qui fait peur. Comment soutenir l’idée du trans chez chacun ? Ce jeune trans qui vient de se suicider après qu’on lui ait interdit de venir en jupe à l’école…Il y a tout un discours autour de cette question. On va peut-être trouver des mots pour épingler autrement quelque chose. Il faudra peut-être mettre de côté certains mots…

LB : Il y a aussi des sujets qui sont très dérangés, qui s’effondrent si on va dans la direction de l’abolition de cette partition. Il y a des fragilités qui vont dans le sens que vous avez décrit, mais il y a les mêmes fragilités qui, pour tenir, ont besoin de points de repère, de ne pas détruire le semblant, et qui sont de l’avis opposé. Dans le cabinet, avec chacun, on peut faire le travail qu’il faut faire, nous n’avons pas le poids lourd de ce qui est le mieux. Et on peut trouver avec chacun sa façon, ce qui lui convient. Mais au niveau social, je pense que c’est beaucoup plus difficile. Et là, c’est le travail de ceux qui ont la charge de responsabilités institutionnelles, de trouver comment faire. Je pense que c’est difficile pour la psychanalyse de se prononcer d’une façon trop directe, dans une direction ou dans une autre. Parce que ce que nous voyons, c’est que ça dépend du sujet, de la particularité du sujet. Il a besoin de trouver son salut à lui en dehors de lui, dans la société, et nous sommes à côté de chaque sujet qui le souhaite, au un par un.

VC : Parce qu’autrement, la psychanalyse deviendrait un nouveau discours du maître, et ce n’est pas à souhaiter.

LB : Voilà ! Je suis toujours très attentive à ne pas tomber dans ce risque-là, de s’autoriser, en tant que psychanalyste, à dire ce qui serait le mieux pour la société. On ne sait pas. Ce n’est pas là notre position.

VC : Félicitations d’avoir pu tenir toute cette conversation en français. Vous savez tellement bien le français que vous n’auriez pas pu résister…

LB : C’est une question de transfert, parce que ho fatto la mia analisi a Parigi, dunque il francese per me è strettamente legato alla psicoanalisi. So che non lo parlo bene, ma ho piacere a parlarlo.

VC : Merci beaucoup d’avoir fait cet effort parce que ça m’évitera de chercher les mots justes, puisque vous les avez choisis en français.

LB : Oui mais peut-être que moi, je n’ai pas bien choisi, je vais contrôler, parce que je ne maîtrise pas assez la langue pour trouver les mots que je souhaite … On n’est pas sur le divan, alors il faut contrôler avant de publier.

 

 

Notes :

  1. L’Io nella teoria e nella clinica psicoanalitica, a cura di Maria Bolgiani, Antigone edizioni, Torino, 2015, p. 76.