Encore un effort !

Mikael Strakhov, membre de la NLS et de l’AMP, psychanalyste à Moscou.

Conversation avec Mikael Strakhov le 17 juillet 2022.

Violaine Clément : Cher Mikael, je te remercie d’accepter cette conversation. C’est bien juste, tu es l’un de ceux qui ont décidé de faire ce forum incroyable le 26 février, deux jours seulement après le début de la guerre en Ukraine. Tu es de ceux qui ont dit : il faut qu’on parle ! C’est juste ?

Mikael Strakhov : La décision a été prise le 24, tout de suite après la déclaration de la guerre. On se réveille avec Inga, écrasés par cette annonce, et pour ne pas être complètement écrasés, il faut faire quelque chose. C’est l’urgence, une décision précipitée, il faut faire, il faut faire ! Et en quelques minutes, on a l’idée de faire quelque chose. J’écris à Yuri tout de suite, et on le fait, très vite.

V.C. : C’était très important pour nous aussi, de comprendre que vous, les psychanalystes, vous ne vous mettez pas en-dehors du monde, et vous prenez politiquement une décision. Je vais probablement demander à Yuri, on verra s’il accepte aussi. La précipitation, c’est aussi, pour moi, un signifiant important. Dirais-tu aujourd’hui que c’est un acte ?

M.S. : Oui, naturellement, mais le meilleur des pires, parce que les circonstances étaient telles qu’on avait du mal à se positionner par rapport à ce qui se passait. C’était notre pays qui était impliqué, et même si, depuis des années, tu es contre les décisions que prend ton pays, tu ne peux pas te décoller de ton pays, de ce qui s’y passe. Et la culpabilité est inévitable. La culpabilité est un peu de la dimension de l’acte. Tu adhères, par ta culpabilité, à ce qui se passe, mais au fond, à quoi bon ? Parce que tu n’as rien à voir avec ça. On était un peu préparés, parce que la veille, on écoutait ce qui se passait, le discours horrible du président. On avait déjà compris que quelque chose allait se passer, peut-être le pire. C’était en quelque sorte aussi quelque chose qui a à voir avec sa solitude totale. On se réveille, on est les deux, mais avec qui peut-on parler ? Avec qui est-on, si on s’associe avec son propre pays, alors que fait-on ? La psychanalyse peut aussi servir à ça.

Si notre communauté vaut quelque chose, alors nous pouvons partager ça avec notre communauté. La psychanalyse, c’est aussi la politique, et l’éthique. Nos positions éthiques, peut-être sont-elles indissociables de la politique. Il y avait deux solutions toutes prêtes à répéter dans l’acte : sortir dans la rue, je faisais partie depuis plusieurs années de mouvements sociaux qui me faisaient sortir dans la rue. Ça faisait partie aussi de mon analyse. Comme si je cherchais à me sacrifier, il y a cette dimension du sacrifice, et là, il me fallait inventer quelque chose d’autre. Je trouve intéressant que le moment où notre conversation avait lieu par zoom coïncidait avec le moment prévu pour la manif. Et là, Moscou, ce n’est pas la Russie. On s’est habitués à réagir. La manif était donc prévue le même soir que le forum. On était assis, il fallait planifier les questions techniques et on discutait avec Inga : soit on sortait dans la rue, soit on faisait ce qu’on avait à faire. Et donc nous avons fait ce que nous avons fait. Et puis, nous avons appris que le quasi cent pour cent des participants à la manif ont été arrêtés. Tous, quoi ! C’était le jour de la mort de la vraie protestation. On avait du mal à entendre des Européens nous demander pourquoi on ne sortait pas manifester dans la rue. Mais vous ne pouvez pas imaginer comment ça marche ici. Ce n’est pas un acte social, ici, c’est la machine de la suppression qui te guette dès les premiers pas que tu fais en sortant de ton porche. Tu n’as aucune chance d’y échapper.

V.C : C’est très impressionnant de t’entendre, de ce côté-ci, et je suis très contente que vous ne soyez pas arrêtés, et que, comme le disait Gleb Napreenko, que vous ne donniez pas votre corps à la police. C’est très important que vous puissiez dire ce désaccord avec une politique sans vous mettre en danger. C’est ainsi que quand je te vois prendre des positions courageuses, par exemple sur Facebook, je ne suis jamais sûre de pouvoir faire suivre vos messages, parce que ça pourrait vous mettre en danger. Penses-tu que nous puissions, nous, vos collègues du monde entier, vous aider en relayant vos prises de position, ou que nous devrions plutôt nous taire ?

M.S. : Ce à quoi nous avons à faire, tout ça, c’est nouveau, c’est la première fois. Même si nous cherchons des ressemblances avec le passé c’est un peu ce que je disais à Lausanne, cette forme de propagande n’est pas la propagande ordinaire, qui est basée sur des idées transmises. Normalement, la propagande transmet des idées. C’est une idéologie, à partir de laquelle on détruit d’autres idéologies. Là, il n’y a pas de construction. Il n’y a pas de système délirant qui pourrait être transmis aux gens. La situation, sans doute, met en marche pas mal d’angoisses, mais les gens ne peuvent même pas s’appuyer sur la propagande (rire) parce que la propagande ne propose rien de bien solide. C’est plutôt une attaque contre des signifiants concrets, ce qui complique encore plus les choses, parce qu’on a des trous dans le discours, des trous qui ne sont pas bien bouchés.

V.V. : Ce n’est même pas un storytelling, c’est un morcellement.

M.S. : Tout à fait ! Cela me fait penser à des patients, j’ai pas mal de patients artistes, artistes modernes, qui font des choses au-delà de l’art pictural, pour lesquels c’est un vrai problème, parce que tu dois tu fais quelque chose, mais cela parle des choses qui te touchent, donc de la guerre, mais c’est impossible. Une autre solution serait de faire la même chose, mais à l’extérieur, et c’est impossible aussi, parce qu’une fois à l’extérieur, tu fonctionnes dans un autre discours, qui va très bien, mais qui va prendre ce qui provient de ce discours comme des choses délirantes. Donc tu ne peux rien dire. J’ai peut-être du mal à le dire, mais je suis d’accord avec eux quand ils disent que si tu es à l’extérieur, tu ne peux rien dire de ce qui se passe à l’intérieur, parce que tu n’y es plus. Il faut agir autrement. Si ça vaut la peine de dire quelque chose, c’est ici.

V.C. : Il faut trouer le discours là où il est, et pas ailleurs, sinon, cela risquerait, paradoxalement, de servir la propagande, puisque, précisément, vous vous seriez vous-mêmes éjectés. C’est ça qui rend votre décision de rester si impressionnante. Elle est puissante, elle est éthique, sans être sacrificielle.

M.S. : Non, pas du tout ! On se pose du reste la question de ce qui se passe si on nous arrête, parce que la menace est bien présente. On est plutôt prudents, dans ce que nous écrivons, dans ce que nous disons. Parce que, dans ce que nous écrivons, nous cherchons à garder notre position de psychanalystes cliniciens. Notre éthique purement clinique est comparable à celle des médecins. On ne peut pas, même dans les sociétés les plus dures, interdire aux médecins de toucher le corps. Même si les autres ne peuvent pas le faire, eux, c’est leur boulot. Notre boulot à nous, se fait avec les signifiants. Les signifiants que les autres ne peuvent pas toucher, nous les utilisons, nous les touchons, mais en tant que cliniciens. Nous offrons l’endroit, la place où ces signifiants peuvent toujours circuler, et quand nous les appliquons, nous les appliquons comme tirés des dits de nos patients. Je crois que nous avons le droit de les utiliser, mais comme cliniciens.

V.C. : Vous avez un art du guillemet. Quand vous utilisez un signifiant du patient, vous signalez que c’est lui qui le dit.

M.S. : Quand j’utilise le mot guerre, qu’on interdit parce que l’utiliser, c’est se situer contre l’armée, dans le discours officiel, je vais dire que je l’utilise en tant que signifiant.

V.C. : C’est ce que j’appelle les guillemets. Toi, tu sais que le mot n’est pas la chose, mais quand tu parles comme ça, on peut t’entendre, nous. Mais penses-tu que cette distinction entre le signifiant et la chose s’entende dans ta langue, dans ta culture, dans ton pays ?

M. S. : Je suis très pessimiste, parce que je vois, et c’est ça le paradoxe, parce que je vois que c’est une société dans laquelle la propagande ne fonctionne plus.

V.C. : Explique ça… On ne croit plus aux mots ?

M.S. : Par exemple, un grand instrument de la propagande, c’est la télé. Or les gens ne regardent jamais la télé. C’est plutôt l’affaire de gens plus avancés en âge, ou qui vivent dans des régions éloignées. Quand on dit que les gens scotchés à la télé subissent la propagande, je ne le crois pas. C’est plutôt parce qu’ils sont dupes de ce discours qu’ils restent scotchés à la télé. Ils ne veulent rien savoir d’autre. Car le monde actuel est ainsi fait que tu as accès, 24 heures sur 24, à tout ce qui existe dans le monde. Tu peux tout voir, et donc tu sélectionnes ce que tu veux voir. Cette sélection est une question de désir, de position. Je ne crois pas qu’il existe une bonne parole adressée à la foule, qui pourrait bousculer quelque chose. Mais qu’est-ce qui fait passer le sujet d’un parti à l’autre, par exemple, radicalement, du parti de ceux qui sont pour la guerre à ceux qui sont contre ? Je crois que c’est le malaise, un malaise personnel, et c’est à partir de ce malaise que tu peux entendre quelque chose d’autre. Ça s’appelle le symptôme, ça !

V.C. : Ce que Inga appelait un minimum de division, que tout le monde n’a pas.

M.S. : Absolument ! Et donc, dès que le sujet est touché par quelque chose, il est ouvert à entendre quelque chose, un petit bout de mot. Il faut s’occuper de ça, parce que ça peut être une chance de passer à autre chose.

V.C. : C’est un pari, que tu fais là. Tu paries sur le fait qu’il entende, mais il peut aussi refuser d’entendre. La dénégation, la forclusion, etc… On pourrait imaginer que pour une très grande partie des gens, comme actuellement en Europe, ceux qui s’appellent les réalistes, ils croient vraiment que ce qui arrive là n’est pas très grave, et qu’il faut arrêter de s’en occuper. Je me demandais combien de temps ça prendrait pour que ce discours prenne toute la place qu’il a actuellement sur les réseaux sociaux, dans la presse etc… C’est très impressionnant avec quelle rapidité le « je n’en veux rien savoir » prend de la place. Ce que j ’entends chez toi, c’est une autre passion de l’ignorance, qui est celle de l’analyste. Ton principe, c’est de rester sur place pour entendre, dans ce que te disent tes patients, quelque chose que tu peux faire résonner pour que ça produise un effet.

M.S. : C’est ça !

V.C. : Ce qui m’intéresse aussi, c’est la question des artistes. Qu’est-ce qui, à ton avis, fait que les artistes soient plus intéressés par la psychanalyse, à Moscou comme ailleurs, que des professeurs, des psychologues voire des médecins ? À ton avis, qu’est-ce qui intéresse les artistes dans la psychanalyse ?

M.S. : Bonne question ! Je trouve que, dans la situation actuelle, il y a la ressemblance de nos soucis, et de nos moyens, en quelque sorte. Parce que, quand je dis que personne ne veut entendre quelque chose qui ne corresponde pas à ses croyances, on peut généraliser en disant qu’ils ne veulent pas voir les œuvres qui les touchent trop, qui les détournent de leur croyance. Ce n’est pas par hasard qu’on a fermé pas mal de théâtres à Moscou. On a interdit énormément d’événements culturels, des concerts, tout tout et tout… Il y a beaucoup de choses qui sont interdites ou fermées. Je peux donner un exemple qui m’a beaucoup frappé, un exemple récent. Une patiente qui a des problèmes psychiques, et que je suis depuis de nombreuses années, et qui a déjà un point de réel, d’impossible dans sa vie, incarné par l’image de sa mère, qu’elle nomme la sorcière. Elle fait des rêves de sorcière depuis sa petite enfance. Le truc, c’est que c’est la sorcière qu’elle ne peut pas voir. Elle sait que la sorcière est là, elle est à côté, derrière la vitre par exemple, dans une autre pièce, mais elle ne la voit jamais. C’est l’horreur absolue, le vrai réel que tu ne peux pas voir, la Méduse, la Gorgone, que tu ne peux pas voir. Et tout à coup, dans l’analyse, qu’elle reprend avec la guerre, elle fait un rêve qui change radicalement sa position : elle se voit en petit garçon sur sa bicyclette, et elle tourne autour de cette sorcière, qu’elle peut voir. Et elle joue avec elle, elle joue à bout-rimé. (Je ne connais pas l’expression, que Mikael m’explique) C’est un jeu de salon, ça se prononce de la même façon en russe. Tu fais une petite poésie de 3-4 lignes, et à la fin, tu fermes, et tu passes à l’autre. Là, elle fait deux choses, elle tourne autour de la sorcière, et elle invente la façon de faire avec, elle invente une dialectique avec ce drôle de jeu.

V.C. : Mais sa mère, enfin, la sorcière du rêve, ne lui répond pas ? Elle fait ça toute seule ?

M.S. : Non non, elle joue avec elle à bout-rimé.

V.C. : Donc la sorcière lui répond, waow ! Et tu mets cette rectification subjective en lien avec la guerre ?

M.S. : C’est elle qui continue, quelques séances après. Cette artiste au nom assez connu, c’est elle qui pose la même question : alors, comment je fais ? Elle aurait pu quitter le pays, sans problème. Mais elle pose la question : comment je continue, comment je vais travailler avec ça ? Ce bout-rimé n’est pas la réponse, mais c’est comme s’il y avait là quelque chose d’écrit, comme une solution possible. Elle n’a pas de solution, mais là, elle peut creuser.

V.C. : C’est en effet ce qui se voit, comment la psychanalyse peut avoir des effets sur le travail artistique. Le chemin fait en analyse a des conséquences, forcément, sur le travail artistique. As-tu l’impression que, quand tu fais ce travail-là, avec ceux de tes patients aussi, qui décident comme ça, de rester, ça permet de faire une petite communauté ? Tu posais la question de l’appartenance : oui, on appartient à un collectif d’analystes, tu es membre de la NLS, de l’AMP, mais est-il possible de créer localement quelque chose qui soit aussi soutenant ?

M.S. : Oui, on n’est pas nombreux, mais nous partageons les mêmes positions politiques et éthiques, ça nous aide beaucoup. Pour l’instant, nos réponses aux questions que nous nous posons ne convergent pas trop. Même si nous avons comme solution de poche la possibilité de partir, nous voulons tenir le coup, pour l’instant. L’idée qui nous vient à l’esprit est une question : pourquoi devrait-on leur laisser notre pays ? Nous aimons beaucoup notre pays. J’aime bien mon pays, et si nous partons, qui va rester ?

V.C. : On ne va pas vous déloger de chez vous, vous êtes chez vous. Vous avez toujours cette possibilité de partir, que tout le monde n’a pas. Il y a quand même partout beaucoup de gens qui ne partent pas parce qu’ils ne peuvent même pas imaginer partir, encore moins risquer de quitter leur maison. Vous qui avez le choix, qui savez que vous pouvez, qui parlez d’autres langues, votre choix est très intéressant, et interroge beaucoup ceux qui partent. Arrivez-vous à parler avec eux, avec ceux qui partent ?

M.S. : C’est très difficile. II y a des proches, ma fille par exemple, est partie définitivement en Géorgie, bien sûr, nous sommes en contact permanent. Mais en ce qui concerne nos collègues, je crois que dès que tu franchis le seuil de ton pays, tu es pris tout de suite par le discours de l’autre pays. Et à partir de ce moment-là, tu ne pourras plus jamais parler de la même manière, comme avant. Parce que ta position change illico. Même si on peut dire que nous sommes sous la pression de la propagande, je crois qu’à partir de ce moment-là, tu seras beaucoup plus pris par la propagande.

V.C. : On dit que la position du sujet est l’exil. Ce que tu dis, c’est qu’il n’est pas nécessaire de partir de chez soi pour être exilé, puisqu’on l’est, de toute manière. Mais refuser cet exil, est-ce croire qu’on peut empêcher l’exil dans la réalité ? Même si tu pars, tu seras encore un exilé, mais d’une autre manière. C’est vrai qui si tu habites ailleurs, dans une autre langue, une autre culture, tu ne parles plus de la même position. Ce que tu dis là est très singulier. C’est donc pour nous très précieux. Cela m’avait d’ailleurs surprise, lors du forum, comment le discours de Philippe Stasse n’avait pas pu être entendu.

M.S. : C’est exactement ça que je dis ! Quand tu sors ailleurs, tu veux t’installer, avec le calme qui est reproduit dans les médias, dans la société. Quand on a organisé ce forum, c’était un peu exagéré d’attendre que les participants développent des choses très privées. On a cherché des réponses des gens présents humainement. Tu es touché, et ce que disait Stasse, c’était vraiment ça, c’était plutôt le témoignage de son implication. Peu importe ce qu’il avait choisi1, il est évident qu’il a prélevé les éléments les plus forts, les plus frappants, et on peut voir que la majorité cherche plutôt à calmer.

V.C. : Calmer, chercher la paix, ce discours pacifiste est inquiétant. Chercher la paix à tout prix.

M.S. : Très bonne question ! Voilà encore un signifiant, la paix, qui résonne autrement. Le pacifisme ne vise pas à calmer. Le pacifisme, c’est ce que tu n’obtiens jamais à travers cette pacification. Il faut être dérangé, il faut faire ta petite guerre, mais pas par les armes.

V.C. : Il faut être réveillé ! La psychanalyse vise ça.

M.S. : Oui, tu fais la guerre, à ta manière, tu traverses le moment insupportable, mais c’est la seule façon d’obtenir une autre paix, tolstoïenne, qui n’est pas la guerre.

V.C. : Bernard-Henri Lévy est très critiqué ici : dès qu’il dit ou écrit quelque chose, il reçoit un torrent d’insultes. Or il a écrit entre autres un livre intéressant : « La Guerre sans l’aimer ». C’est ce que tu dis : faire la guerre, la faire à soi, contre ce qui, en soi, est de l’ordre de la saloperie, cela demande du courage. C’est ce que vous démontrez vous, en Russie, c’est aussi ce que fait actuellement Jacques-Alain Miller sur Twitter. Il y va. Pour toi, est-ce que ta fille, qui est partie en Géorgie, comprend pourquoi tu restes ?

M.S. : Oui. Elle est partie, parce qu’elle est artiste. C’est elle qui est l’auteure de l’image de cette conversation.

V.C. : C’est en effet un travail qui nous parle. Merci à elle de nous autoriser à utiliser cette oeuvre. Une question encore : lorsque tu as accepté de me parler, qu’est-ce que tu penses important de nous dire, toi ?

M.S. : Franchement, je suis surpris qu’on ait si peu d’élaborations sur ce qui se passe. Une expression clichée qui nous vient de l’époque soviétique dit : nous vivons un temps intéressant. On dit qu’il ne faut surtout pas vivre un temps intéressant (rire). Mais c’est vrai que nous vivons un temps intéressant. Même si c’est effrayant, c’est un grand laboratoire dont nous devons profiter, à mon avis. Nous sommes en train de travailler avec nos collègues ukrainiens le livre XVII du Séminaire de Lacan. C’est le fruit de ce laboratoire où les rues de Paris étaient devenues un vrai dictionnaire du discours. Ce que fait Lacan, c’est qu’il sort sur l’escalier du Panthéon, et parle avec la foule. Tout de suite après, il fait son séminaire, et tu peux lire des élaborations lacaniennes tirées déjà de cette conversation. Il se fait interpeler, même bousculer, par quelques personnes, mais c’est un excellent matériel à travailler. Donc nous pouvons, nous aussi, mouiller un petit peu notre chemise pour travailler l’actualité.

V.C. : Te souviens-tu de cette assemblée de l’AG, à la suite de laquelle j’avais proposé que nous fassions un cartel, il me semble, sur l’amour, en fait, sur l’affectio societatis, et Lilia Mahjoub avait même accepté d’être notre Plus-Un ? Eh bien, maintenant, nous avons trouvé un sujet. Je renouvelle ma proposition. Je suis très intéressée à travailler avec quelqu’un chez vous, avec quelqu’un d’Ukraine, ou avec quelqu’un qui vient d’un pays qui a connu des « temps intéressants », je pense à notre présidente, Sandra Cisternas, qui vient du Chili. C’est donc l’occasion de se mettre au travail. J’ai toujours trouvé que les cartels, c’est une des plus géniales inventions de Lacan pour construire une École. Sur le Séminaire XVII, c’est pas mal !

M.S. : On pourrait inviter les collègues par un appel aux cartels, un appel à travailler sur la guerre, sur la propagande, l’humour…

V.C. : L’appel est lancé, espérons qu’il sera entendu ! Merci de nous donner envie de faire encore un effort pour être Lacaniens ! Cette phrase de Miller2, je l’ai entendue plus d’une fois dans ton énonciation !

*Œuvre reproduite avec l’aimable autorisation de l’artiste Eugenia Strakhova.

Notes : 

  1. Philippe Stasse prenait appuis sur le livre « Dans la tête de Vladimir Poutine » de M. Eltchaninoff.
  2. Miller, J.-A. « Encore un effort ! La création d’une Anormale Sup ? », laregledujeu.org, 24 mars 2013.